Tomaso Cavallo
«L’homme n’est malheureux que parce qu’il méconnaît la Nature». (Système de la Nature ou des Lois du Monde Physique & du Monde Moral, Londres 1770).
«La vraie gloire ne peut être aux yeux d’un être raisonnable, que la reconnaissance publique, l’admiration générale, excitées par des actions, des talents, des dispositions utiles au genre humain». (La Morale Universelle ou Les Devoirs de l’homme fondés sur sa nature, chez M. Rey, Amsterdam 1776).
1. «D’Holbach est, dans toute l’histoire littéraire et philosophique, un cas unique. À l’exception du premier cercle de ses plus intimes amis, qui partageaient toutes ses confidences, collaboraient à ses travaux, personne ne se douta, tant qu’il vécut, qu’il était l’auteur d’une œuvre immense dont le succès eût rendu vaniteux et jaloux tout autre que lui» (Chassinand-Nogaret G., 2009: 208). Pour que la valeur de son œuvre accédât à la reconnaissance, comme Diderot, Paul Thiry d’Holbach (1723-1789) a dû faire confiance à la postérité. Figure essentielle de la propagande d’un athéisme radical et matérialiste dans l’Europe de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, membre des académies de Petersbourg, de Mannheim et Berlin, pendant toute sa vie d’Holbach a été forcé, comme on le lit dans l’Avant-propos des Lettres à Eugenie, de «cacher la lumière sous le boisseau»1. Moins allusivement, il a dû faire face au problème de ne pas être « reconnu », c’est-à-dire, de ne pas être identifié par l’autorité religieuse et politique de son pays d’adoption comme l’auteur des « brulôts incendiaires », fabriqués sans interruption dans sa « boulangerie » à partir de 1760 pour détruire tous les fantômes, les chimères et les préjugés qui, à ses yeux, faisaient obstacle à la félicité des hommes dans ce monde.2 On a pu dire qu’avec son auctorialité délibérément clandestine d’Holbach a été, à sa façon, un « nicodémite » du Siècle des Lumières. En tout cas, sa sépulture dans la somptueuse Eglise de St. Roch, à côté de son ami Diderot, démontre visiblement comme le baron a parfaitement réussi à cacher à la plupart de ses contemporains sa prolifique activité littéraire anticléricale et antidespotique, en réalisant pour son compte, à la fois, soit le larvatus prodeo (j’avance masqué) de la devise cartésienne, soit le Caute! (Prudence!) de celle d’un de ses inspirateurs fondamentaux, Spinoza. «Maître d’hôtel de la philosophie», dont les adeptes trouvaient chez lui, rue St. Roch ou au Grandval, un accueil généreux, Holbach était convaincu que celui qui refusait de communiquer à ses semblables des vérités utiles à leur bonheur était comparable à l’avare qui ne fait part de son trésor à personne. D’où découle non seulement sa riche collaboration et son soutien à l’Encyclopédie, qui devient plus intense à partir du moment très critique où Diderot est abandonné par d’Alembert, mais surtout sa constante activité de divulgation clandestine d’ouvrages audacieux – qu’il prenait soin de cacher sous l’anonymat ou des noms d’emprunts – destinés à combattre frontalement l’intolérance religieuse et le despotisme politique.
Le célèbre incipit de la Préface à son ouvrage le plus connu, Le système de la Nature (1770) – « L’homme n’est malheureux que parce qu’il méconnaît la Nature » pourrait faire penser que le problème central de sa philosophie a toujours été celui de la « méconnaissance » ou, pour utiliser une catégorie de la théorie critique d’Adorno, le problème du Verblendungszusammenhang lié à la diffusion universelle des préjugés et inséparable des « chimères » théologico-politiques partout répandues dans le monde et amplement enregistrées dans les annales d’une histoire humaine très bien connue du baron, tandis que le thème de la « reconnaissance », – de l’acknowledgment (pour parler avec Hobbes), ou de l’Anerkennung (pour parler avec Hegel) – ne jouerait qu’un rôle tout à fait secondaire dans ses pages, où l’emploi du mot « reconnaissance » aurait simplement le sens de « gratitude ».3 Cette impression serait toutefois une erreur, parce que le baron considère comme essentiel à une vie humaine réussie «l’intérêt à se faire estimer et chérir de ses semblables» (MU: I, 22). Dans l’utilitarisme de sa théorie morale, estime, considération, ambition et gloire – en un mot, la reconnaissance comme Anerkennung – jouent un rôle fondamental, d’autant plus que le baron a vu avec sagacité comment, à partir de l’enfance la plus tendre, « l’estime et la honte » dans les mains de « bons instituteurs » sont des « mobiles qui peuvent être employés avec succès » pour éduquer les individus à la bienfaisance, à l’équité, à la politesse, à l’indulgence, en un mot, à l’humanité (MU: III, 126). En même temps, il a identifié dans l’absence de reconnaissance de la part de nos semblables une des souffrances les plus affligeantes pour l’être humain.4
2. La philosophie holbachienne ne contemple à l’origine de l’histoire aucun âge d’or ni, naturellement, aucun paradis terrestre. « La moindre réflexion sur les annales du monde suffit pour détruire une pareille opinion. Les Nations n’ont été d’abord que des hordes sauvages, et des Sauvages ne sont ni heureux, ni sages, ni vraiment sociables. S’ils sont été exemptés de mille besoins, enfantés depuis par le luxe et les vices qu’il engendre, ils ont été féroces, cruels, injustes, turbulents, totalement étrangers aux sentiments de l’équité et de l’humanité » (MU: 1, XIX). Si l’antiquité nous montre des peuples guerriers et très-puissants, « elle ne nous montre pas des Peuples sages et vertueux » (ibidem). La réflexion du baron prend plutôt son point de départ du constat, « à sang froid », que « les erreurs du genre humain sont universelles, parce que l’expérience a dû précéder la raison » (EP: 43). Fruit d’expériences mal faites ou de « l’inexpérience totale que l’on appelle ignorance », du délire de l’imagination, du trouble de nos sens, erreurs et préjugés sont des jugements destitués d’expériences suffisantes.
Les Individus, ainsi que les Nations, sont les dupes d’une foule de préjugés dangereux, qui les écartent sans cesse du bien-être vers lequel ils croient s’acheminer. Les opinions des Peuples, leurs institutions, leurs usages et leurs Lois, souvent si contraires à la raison, sont dus à leur inexpérience, sont consacrés par l’habitude, se transmettent sans examen des pères aux enfants. Voilà comme les erreurs les plus nuisibles, les idées les plus fausses, les coutumes les plus dépravées et les plus opposées au bien des Sociétés, les abus les plus criants, se perpétuent parmi les hommes. Faute de voir les choses sous leur vrai point de vue, les principes de la Morale sont ignorés de la plupart des hommes. Guidés par des préjugés destructeurs, par des usages barbares, par des opinions fausses, par la routine aveugle dont l’effet est de les tromper, de les empêcher de connaître leurs intérêts, et les objets qu’ils doivent estimer ou mépriser; la vraie gloire, le véritable honneur, les vérités les plus frappantes, sont totalement obscurcis par une foule d’erreurs qui forment un labyrinthe d’où l’esprit a peine à se tirer (MU: I, 44-45).
Connaissance du bonheur véritable et des moyens capables de le procurer, la raison, pour d’Holbach, « ne peut s’acquérir que par des expériences sûres et réitérées » (SS: I, 33). Absolument contraire, comme Locke et toute la philosophie sensualiste du XVIIIe siècle, à des hypothèses innéistes, la raison dans l’homme n’est, à ses yeux, « que le fruit tardif de l’expérience, de la connaissance du vrai, de la réflexion; ce qui suppose une organisation bien constituée, un tempérament modéré, une imagination réglée, un cœur exempt de passions turbulentes. C’est de cette heureuse et rare combinaison de circonstances que résulte la raison éclairée, faite pour guider les hommes dans la conduite de la vie » (MU: I, 46).5
Apôtre d’un matérialisme intégral, déterministe qui a profondément assimilé la leçon antifinaliste et anti-anthropocentrique formulée par Spinoza dans l’Appendice à la première partie de l’Ethique, d’Holbach voit à l’origine de la méconnaissance des lois de la nature les croyances religieuses, nées partout de l’impuissance humaine vis à vis des catastrophes et des adversités naturelles, dont par inexpérience les hommes ignoraient la nécessité, et qu’ils attribuaient ainsi à la volonté des puissances surnaturelles qui prétendaient être vénérées. Dans La Contagion sacrée ou Histoire naturelle de la superstition, en reprenant le motif classique du primus in orbe Deos fecit timor, mais montrant aussi le caractère intrinsèquement et originairement politique de la théologie, d’Holbach écrit:
L’homme n’est superstitieux que parce qu’il est craintif; il ne craint que parce qu’il est ignorant. Faute de connaître les forces de la nature, il la suppose soumise à des Puissances invisibles, dont il croit dépendre, et qu’il s’imagine ou irrités contre lui ou favorables à son espèce. En conséquence il se figure des rapports entre ces Puissances et lui; il se croit tantôt l’objet de leur colère, et tantôt l’objet de leur tendresse ou de leur pitié; son imagination travaille pour découvrir les moyens de les rendre propices ou de détourner leur fureur; mais comme elle ne peut jamais lui montrer dans ces Dieux que des hommes exagérés, les rapports qu’il suppose entre ces êtres invisibles et lui-même, son toujours humains, et la conduite qu’il tient à leur égard est toujours empruntée de celle que tiennent les hommes, lorsqu’ils ont à traiter avec quelqu’être de leur espèce dont il craignent la puissance ou dont il veulent mériter la faveur (CS: 1-2).
Convaincu que le genre humain est partout « la proie des prêtres » (LE: 14) Holbach considère la religion « comme le plus puissant des ressorts de la politique » (CS: 123). L’anthropomorphisme, inévitable pour des religions qui ont besoin de la personnalisation de la divinité, a toujours une nature essentiellement politique et il ne peut faire autrement que de considérer le « naturae rectores » sinon comme des rois, comme des souverains: « Prévenus que Dieu est un Monarque puissant, intéressé, jaloux de son pouvoir et prompt à s’irriter, les hommes se comportèrent toujours à son égard comme envers les souverains de la terre; cet Être fut toujours traité en homme; mais cet homme fut un homme privilégié: sa puissance le mit au dessus des règles ordinaires, il ne connut de loi que son caprice, il fut un vrai Sultan d’Asie, et ses Ministres des Visirs, aussi despotiques que lui » (CS: 13-14). Toutes les erreurs se touchent, elles naissent les unes des autres; pour d’Holbach si nous remontons à leur source, « nous les verrons toujours sortir des préjugés religieux dont le genre humain est infecté; c’est de la superstition que sortent tous nos préjugés politiques. Trompés une fois dans nos idées sur les Dieux et sur les Souverains qui les représentent, tout le système de nos opinions n’est plus qu’une longue chaîne de préjugés ». (CS: 147).
L’Ethocratie, ou l’athéisme éthique prôné par d’Holbach, est la proposition d’une nouvelle alliance entre une morale universelle, fondée sur la connaissance de la nature humaine, et la politique, une alliance capable de battre et de reléguer dans le passé de l’histoire humaine l’entrelacement pervers du trône et de l’autel. Si, pour une humanité dépourvue du cumul d’expériences nécessaire à un développement adéquat de la raison, les croyances religieuses, bien que toujours néfastes, pouvaient être en quelque sorte justifiées, le tort de la religion dans le monde civil actuel est celui de vouloir enfermer l’homme dans une éternelle enfance, en lui défendant la difficile, mais non impossible sortie d’une condition de minorité permanente. En interdisant l’usage des lumières de la raison, considérée comme irréparablement corrompue, si elle n’est pas aidée par une grâce surnaturelle qui finit en réalité par l’étouffer, « l’éducation religieuse ne fait de l’homme qu’un automate qui n’osa jamais consulter sa raison et qui se laissa guider par l’autorité. Il se méconnut, il se défia de ses propres forces, il n’eut aucune idée de la Société, il ignora ce qu’il se devoit à lui-même et ce qu’il devoit aux autres: il crut ne rien devoir qu’à des puissances invisibles, dont il ne connut les intentions que par l’organe suspect de ses prêtres » (SS: I, 52). « C’est ainsi pour avoir méconnu la nature et ses voies, pour avoir dédaigné l’expérience, pour avoir méprisé la raison, pour avoir désiré du merveilleux et du surnaturel, enfin pour avoir tremblé, le genre humain est demeuré dans une longue enfance dont il a tant de peine à se tirer. Il n’eut que des hypothèses puériles dont il n’osa jamais examiner les fondements et les preuves. Il s’était accoutumé à les regarder comme sacrées, comme de vérités reconnues dont il ne lui était point permis de douter un instant ». (SN: 171) Ainsi à l’établissement des gouvernements et même à leur réformes ont présidé jusqu’ici « l’hasard, la déraison, la violence » (SS: II, 32). Faute de connaître la vérité, les hommes on réduit le mensonge et l’ignorance en système.
Pour d’Holbach, théologie et politique semblent avoir combiné leur pouvoir « pour empêcher le cœur de l’homme de se porter vers les objets les plus nécessaires à son bonheur en ce monde. Pour les théologiens en tout pays la morale est l’art de plaire aux dieux et la vertu est la conformité des actions de l’homme avec les volontés de son Dieu. Mais sous prétexte d’obéir et de plaire à la Divinité ont été commis sans scrupule «les attentats les plus contraires à la Politique, les plus outrageants pour la Morale, les plus révoltants pour l’Humanité » (SS: I, 44). Dans toutes les religions de la terre, la Divinité est représentée comme un souverain injuste et dans les nations mêmes qui passent pour les plus civilisées la religion fait adorer des Tyrans invisibles, dont l’exemple suffit pour anéantir toute idée de devoirs dans l’esprit de leurs adorateurs. Le Dieu de la Judée, jaloux, inconstant, vindicatif, sanguinaire se révèle injuste pour tous les peuples, à l’exception du peuple que son caprice a choisi. Deus sabahot, Dieu des armées et des vengeances, Dieu exterminateur des nations, les Ecritures mêmes qui le célèbrent font de lui un tyran abominable, «qui a le droit de violer toutes les règles de la Morale en légitimant des massacres».(SS: I, 44) Le Dieu des Chrétiens, à son tour, est un dieu misanthrope qui nous conseille de fuir le monde, de nous détester nous-mêmes, de haïr le plaisir, de chérir la douleur, de mépriser la science, de craindre l’estime des hommes. Les Essais de Morale de Nicole sont cité par d’Holbach là où ils affirment que Dieu a le droit de nous punir même de bonnes oeuvres dont nous nous glorifions, qui deviennent ainsi «un larcin que nous lui faisons» (MU: I, 45). «Le Théologien suppose l’homme essentiellement corrompu, incapable par sa nature de faire le bien, ennemi né de toute vertu. Si vous lui demandez sur quel fondement il porte un jugement si défavorable à la nature humaine, il vous dira qu’au mépris de la défense de son Dieu, le premier père du genre humain a mangé une pomme: un profond mystère qu’il faut croire sans le comprendre» (SS: I, 22). Visant à conduire les hommes par des voies surnaturelles, la Morale religieuse méconnait dans sa marche les droits de la raison.
3. En plein accord avec l’Ethique spinozienne, qui figurait dans sa riche bibliothèque, et que sûrement le baron a compulsé plus qu’on ne pourrait le penser si l’on ne s’en tenait qu’aux citation explicites du philosophe hollandais, d’Holbach, pour ériger sa « science des mœurs », part du principe d’autoconservation inhérent à tout être et de la nature désirante propre à chaque individus.6 « Il est de l’essence de l’homme de s’aimer lui-même, de vouloir se conserver, de chercher à rendre son existence heureuse » (SN: 357). Pour le rigoureux déterminisme qui marque à chaque page la philosophie holbachienne, la vie humaine peut être comparée à une ligne que la nature nous ordonne de décrire à la surface de la terre, sans jamais pouvoir nous écarter un instant.
Nous naissons sans notre aveu, notre organisation ne dépend point de nous, nos idées nous viennent involontairement, nos habitudes sont au pouvoir de ceux qui nous les font contracter, nous sommes sans cesse modifiés par des causes soit visibles, soit cachées, qui règlent nécessairement notre façon d’être, de penser et d’agir. Nous sommes bien ou mal, heureux ou malheureux, sages ou insensés, raisonnables ou déraisonnables sans que notre volonté entre pour rien dans ces différents états (SN: 278).
En tout cas, la nature même nous destine à vivre en société. La conjecture rousseauienne d’un état de nature, où les hommes auraient vécu épars, isolés, sans aucune communication avec les êtres de leur espèce, selon d’Holbach est absolument chimérique. Fruit d’une société contractée entre un mâle et une femelle de son espèce, l’homme fut toujours en société. Comme l’art, du reste, la société est l’ouvrage même de la nature. « L’homme vit en société parce que la Nature l’y a fait naître; il aime cette société parce qu’il trouve qu’il en a besoin » (PN: 346). Ainsi, lorsqu’on dit que la sociabilité est un sentiment naturel à l’homme, on indique par là que l’homme ayant le désir de se conserver et de se rendre heureux, en chérit les moyens. Né avec la faculté de sentir, il cherche le plaisir et fuit la douleur, il préfère le bien au mal ; susceptible d’expériences et de réflexions, il devient capable de comparer les avantages que la vie sociale lui procure avec les désavantages qu’il éprouverait s’il était privé de la société.
L’homme est sociable parce qu’il aime le bien-être et se plaît dans un état de sécurité, tandis que la solitude – encore un emprunt au solitudinis metus du Traité Politique spinozien (VI, 1) – lui déplaît, l’inquiète, en le laissant dépourvu de secours.
Etant donné sa nature sociable, « nul homme ne peut être heureux tout seul » (SN, 358). En effet, dans aucun des instants de sa durée un être sensible et intelligent ne peut perdre de vue sa conservation et son bien-être:
il se doit donc le bonheur à lui-même; mais bientôt l’expérience et la raison lui prouvent que, dénué de secours, il ne peut tout seul se procurer toutes les choses nécessaires à sa félicité ; il vit avec des êtres sensibles, intelligents, occupés comme lui de leur propre bonheur, mais capables de l’aider à obtenir les objets qu’il désire pour lui-même ; il s’aperçoit que ces êtres ne lui seront favorables que lorsque leur bien-être s’y trouvera intéressé ; il conclut que pour son bonheur il faut qu’il se conduise en tout temps d’une façon propre à se concilier l’attachement, l’approbation, l’estime et l’assistance des êtres les plus à portée de concourir à ses vues; il voit que c’est l’homme qui est le plus nécessaire au bien-être de l’homme7 et que pour le mettre dans ses intérêts, il doit lui faire trouver des avantages réels à seconder ses projets; mais procurer des avantages réels aux êtres de l’espèce humaine, c’est avoir de la vertu ; l’homme raisonnable est donc obligé de sentir qu’il est de son intérêt d’être vertueux. La vertu n’est que l’art de se rendre heureux soi-même de la félicité des autres (SN: 357-58).
«Un être sociable », d’ailleurs, « ne peut s’aimer véritablement qu’en intéressant ses semblables à son bonheur ; ce qu’il ne peut effectuer qu’en leur faisant éprouver les bonnes dispositions de son cœur ». (MU: I, 30)
Considérer comme Pascal comme haïssable notre propre « moi » c’est condamner l’homme parce qu’il s’aime lui-même et c’est le blâmer d’être homme. Prétendre que cette affection vient de sa nature corrompue, c’est dire qu’une nature plus parfaite lui eût fait négliger sa conservation et son propre bien-être; soutenir que ce principe des actions humaines est ignoble et bas, c’est dire qu’il est bas et ignoble d’être un homme.
Si nous voulons examiner l’homme tel que la Nature l’a fait, nous reconnaîtrons qu’il ne pourrait subsister, s’il perdait de vue l’amour qu’il a pour lui-même; tant qu’il jouit d’organes sains ou bien constitués, il ne peut se haïr, il ne peut être indifférent au bien ou au mal qu’il lui arrive, il ne peut s’empêcher de désirer le bien-être qu’il n’a pas, ni de craindre le mal dont il se voit menacé; il ne peut aimer les êtres de son espèce, qu’autant qu’il les trouve favorables à ses désirs et disposés à contribuer à sa conservation et à sa propre félicité. C’est toujours en vue de lui-même qu’il a de l’affection pour les autres et qu’il s’unit avec eux (MU: I, 27).
Mais l’amour de soi ne doit pas être confondu avec un égoïsme insociable.
Celui chez qui l’amour de soi étouffe toute affection pour les autres, est un être insociable, un insensé qui ne voit pas que tout homme, vivant avec d’autres hommes, est dans une impossibilité complète de travailler à son bonheur sans l’assistance des autres. Toutes nos passions aveugles, nos vices et nos défauts, nous séparent de la Société; en indisposant nos associés contre nous, il en font des ennemis, peu favorables à nos désirs (MU: I, 31).
S’ils ne furent jamais isolés et solitaires, les hommes furent toujours inégaux. « La nature a mis entre les hommes la même diversité que nous voyons dans ses autres ouvrages. Ils diffèrent entre eux par les forces, soit du corps, soit de l’esprit, par les passions ou les idées qu’ils se font du bien-être, par les moyens qu’ils prennent pour les satisfaire. Mais cette inégalité, loin de nuire, contribue à la vie et au maintien de la société » (PN: 353). De l’inégalité entre les hommes découlent l’autorité et le pouvoir, qui sont toutefois légitimes, lorsqu’ils se fondent sur la faculté de faire du bien, de protéger, de guider, de procurer le bonheur. Si le désir du bonheur est commun à tous les individus, croire pouvoir se rendre heureux sans s’occuper de la félicité d’autrui est l’illusion la plus répandue et la plus néfaste. Voilà le leitmotiv que d’Holbach répète constamment. Par exemple en écrivant dans sa Politique Naturelle:
La première loi de toute société est celle qui impose à ses membres le devoir de s’aider réciproquement. Une telle loi prescrit d’être utiles aux autres, veut que leur bonheur particulier ne soit que le prix de celui qu’ils procurent à leurs associés. Quelles que soient les erreurs des hommes, la bizarrerie de leurs institutions, la dépravation de leur mœurs, l’aveuglement de leurs préjugés, toujours la Raison leur montrera qu’ils se doivent quelque chose, que les devoirs sont réciproques entre des êtres de la même nature que l’intérêt ou le besoin ont rassemblé. Tant que les hommes seront des êtres sensibles, tant qu’ils aimeront leur bien-être et craindront la douleur, l’affection, l’estime, la reconnaissance seront la récompense de la vertu (PN: 355).
Le critère de l’équité, de la justice sociale doit être trouvé uniquement dans l’utilité ou dans le dommage que notre conduite apporte à la société, à plus forte raison au genre humain. Chaque hiérarchie à l’intérieur des diverses formes de sociétés a uniquement dans l’utilité des œuvres de ses membre sa source naturelle et légitime. C’est ce qu’affirme avec force un paragraphe d’un livre très polémique contre le christianisme comme le Tableau des Saints:
La Raison ne connaît qu’une mesure pour juger et les hommes et les choses: c’est l’utilité réelle et permanente qui en résulte pour notre espèce. Tout homme vraiment utile aux hommes a droit à leur estime. Mais si l’estime, la reconnaissance et la gloire sont des récompenses dues à l’utilité, si l’on ne peut sans injustice les refuser à ceux qui ont procuré ou qui procurent à la société des bien véritables, il est insensé d’honorer des êtres inutiles; c’est le comble de la folie de rendre des hommages à des êtres nuisibles (TS: 11).
Idée reprise dans Le Système social, où nous pouvons lire: « Le pouvoir, les honneurs, les richesses, les louanges, la gloire, les dignités, les places, les titres etc. sont des récompenses qu’une nation reconnaissante doit à ceux qui la servent plus utilement que les autres » (SS: I, 153)
En effet pour d’Holbach « l’esprit d’utilité » constitue l’essence même de l’esprit philosophique. Avant que la Révolution Française, qui doit plus qu’on ne le pense habituellement à l’œuvre du baron8, ne consacre sa devise: Liberté, égalité, fraternité, d’Holbach célèbre la triade de liberté, vérité, utilité: « voilà – s’écrie-t-il – les caractères de l’esprit philosophique; voilà la devise du philosophe! ».
L’esprit philosophique – peut-on lire dans une des pages les plus éloquentes de l’Essai sur les préjugés – est l’esprit de l’utilité, c’est dans la balance de l’utilité que le philosophe doit peser les hommes, leurs œuvres et leurs prétentions. Il y met indistinctement ces religions si respectées; et s’il a le courage de tenir la balance d’une main sûre, il trouve qu’elles sont la source fatale des misères humaines et que s’il en résulte quelques faibles avantages pour un petit nombre d’individus, il en résulte une foule de maux pour des nations entières. Il met dans cette même balance ces despotes que l’opinion fait regarder comme des dieux et qui trop souvent sont des démons pour les peuples qu’ils devraient rendre heureux. Il y met ces grands si fiers de leur naissance, de leurs titres, de leur rang élevé, et souvent il ne trouve que des âmes abjectes, des cœurs pervers, des esclaves arrogants que d’autres esclaves s’obstinent à révérer tandis qu’ils sont les instruments de leur ruine au lieu d’être leurs défenseurs et leurs soutiens» (EP: 104-105).
Le crédit accordé à la naissance, inspiré du respect déraisonnable que les hommes en général réservent à l’antiquité est, pour d’Holbach, « une opinion fatale qui influe évidemment de la façon la plus nuisible sur toutes les sociétés. Par une suite de ce préjugé ridicule, pour estimer un homme on ne demande jamais ce qu’il est, ni les talents qu’il possède, ni les vertus dont il est orné; on se borne à demander le nom de ses ancêtres ». Pour d’Holbach « la noblesse devrait être personnelle, et jamais héréditaire » (EP: 43). Si dans l’histoire humaine la diffusion des préjugés est, hélas, universelle, « les idées saines de la Morale et de la Politique ne sont rien moins que populaires, elles n’existent que dans un petit nombre d’esprits accoutumés à méditer, et que la raison a plus ou moins dégagés des préjugés barbares dont les peuples sont infectés » (SS: I, 220). Vraie science de l’homme, science des rapports qui subsistent entre eux comme êtres inévitablement sociaux et des devoirs qui en découlent, science du bonheur, utile et nécessaire à tous les habitants de la terre, la Morale est pour d’Holbach le vrai pivot d’une philosophie politique qui, en accord avec Spinoza, veut être non pas commentatio mortis, mais plutôt méditation de la vie9 (MU: I, XIV). Libéré des préjugés religieux, une morale qui s’alimente d’une connaissance profonde des affections propres à la nature humaine, que d’Holbach a vu parfaitement illustrées dans la troisième et quatrième parties de l’Ethica spinozienne, ne peut vouloir ôter aux hommes ni leurs besoins, ni leurs passions, ni leurs désir ; elle doit uniquement se proposer de les régler, de les diriger de manière à contribuer à leur bonheur durable. La morale, dont l’objet doit être de rendre les hommes heureux, « ne doit pas leur dire de haïr ou de fuir le plaisir, qui est un bien; mais elle doit les avertir de craindre et d’éviter l’abus du plaisir qui, en produisant la satiété, le dégoût et le vice, devient un mal véritable ». (SS: I, 185). « L’objet de la morale doit donc être, non pas d’isoler les hommes, de les dégoûter de la Société, de les rendre sauvages, mais de les réunir d’intérêts, de les détromper des opinions qui les séparent, de les engager à combiner leur efforts pour travailler en commun à la félicité générale » (SS: I, 207).
Agir sans intérêt, ce serait agir sans motif. Un être intelligent, c’est-à-dire, qui se propose le bien-être à chaque instant de sa durée ne peut pas un instant perdre de vue son intérêt; pour que cet intérêt soit louable, il doit sentir que la Nature l’ayant placé dans la Société, son intérêt véritable exige qu’il s’y rende utile et agréable, parce que les être dont il est entouré, sensibles, amoureux du bien-être, intéressés comme lui, ne contribueront à son bonheur qu’en vue du bonheur qu’ils attendent de lui. D’où l’on voit que c’est sur l’intérêt, que la Morale doit fonder solidement tous ses préceptes pour les rendre efficaces. Elle doit prouver aux hommes que leur véritable intérêt exige qu’ils s’attachent à la vertu, sans laquelle il ne peut y avoir pour eux de bien-être sur la terre (MU: I, 25).
La science du Politique et du Moraliste, dont les vues doivent être les mêmes, consiste pour d’Holbach « à exciter, diriger et régler les passions des hommes de manière à les faire conspirer à leur bonheur mutuel » (MU: I, 33). Il n’est aucune passion qui ne puisse être tournée vers le bien de la Société et qui ne soit nécessaire à son maintien, à son bonheur. Si la passion de l’amour est nécessaire à la conservation de notre espèce, la colère et la haine deviennent des passions utiles et nécessaires pour écarter de nous les choses capables de nuire. Colère, indignation, haine sont des mouvements légitimes contre l’injustice et la méchanceté. « Même la passion du pouvoir, que l’on nomme Ambition, et que l’on est si souvent forcé de détester, est un sentiment naturel à l’homme, qui veut être à portée de faire contribuer les autres à sa félicité propre ; ce sentiment est utile à la Société, lorsqu’il porte le citoyen à se rendre digne de commander et d’exercer le pouvoir par les talents qu’il acquiert. La passion de la gloire, que l’on regarde souvent comme une vaine fumée, n’est que le désir d’être estimé des autres hommes ; ce désir est nécessaire à la Société, dans le sein de laquelle il fait naître le courage, le sentiment de l’honneur, la bienfaisance, la générosité, et tous les talents qui contribuent soit au bien-être soit aux plaisirs du genre humain » (MU: I, 34).
L’homme de bien, dont rêve d’Holbach et avec lui la plupart des philosophes des Lumières, n’est donc pas celui qui n’a point de passions, mais c’est celui qui n’a que des passions conformes à son bonheur constant, qu’il ne peut séparer de celui des êtres faits pour concourir avec lui à sa propre félicité. La sagesse ne nous dit pas de n’aimer rien, mais de n’aimer que ce qui est vraiment digne d’amour. L’Ethocratie holbachienne est évidemment une méritocratie. Mais si dans des sociétés corrompues le mérite est le plus souvent méconnu, l’homme de bien, le citoyen qui cultive ses talents et coopère au bien-être des ses semblables a comme récompense de sa vertu la bonne conscience, l’assurance que ses actions doivent lui procurer les applaudissements, l’estime, l’attachement des êtres avec qui il vit. « Nous avons droit d’être content de nous, lorsque nous avons la certitude que les autres en sont, ou doivent en être contents. Voilà ce qui constitue la vraie béatitude, le repos de la bonne conscience, la tranquillité de l’âme, la félicité durable, que l’homme désire sans cesse, et vers laquelle la Morale doit le guider. Ce n’est que dans une bonne conscience que consiste le souverain bien ; et la vertu seule est capable de le procurer » (MU: I, 59).
Fortement hostile à toute forme d’impérialisme, à partir de l’Antiquité,10 défiant vis à vis des vertus guerrières, « vestiges de l’état sauvage dans les nations mêmes qui passent pour les plus cultivées » (PN: 215), d’Holbach, avant Hegel, voit dans la capacité humaine de ne pas craindre la mort une ressource essentielle pour l’homme qui veut être libre et qui ne tolère d’être réduit en esclavage. Justifiant comme Radicati et Hume le suicide, d’Holbach écrit: « Si les hommes craignaient moins la mort, ils ne seraient ni esclaves ni superstitieux. La mort est une ressource qu’il ne faut point ôter à la vertu opprimée que l’injustice des hommes réduit souvent au désespoir. (…) Le mépris de la mort est un sentiment avantageux, propre à donner aux esprits le courage d’entreprendre ce qui est vraiment utile à la société ». (SN: 353; 386).
Tavola delle abbreviazioni
LE = Lettres à Eugenie ou Préservatif contre les Préjugés (1768), Coda, 2007.
CS = La contagion sacrée ou Histoire naturelle de la Superstition, Londres (Amsterdam, M.-M. Rey), 1768, 2 voll..
EP = Essai sur les Préjugés (1770), Alive, 1999.
SN = Système de la Nature (1770), Alive, 1999.
TS = Tableau des Saints (1770), Alive, 2001.
PN = Politique naturelle (1773), Alive, 2001.
SS = Système Social (1773), Corpus, 1995.
MU = La Morale Universelle ou Les devoirs de l’homme fondés sur sa nature (M. Rey, Amsterdam 1776).
ETH = Ethocratie (1776), Alive, 2001.
CN = Eléments de la morale universelle ou Cathéchisme de la Nature, Bure, 1790.
Bibliografia
Boulanger N. A., 1788, L’Antiquité dévoilée et Le Despotisme Oriental, Paris: Duchesne.
Chaussinand-Nogaret G., 1976, La noblesse au XVIII siècle, Paris: Hachette.
Chassinand-Nogaret G., 1994, Le citoyen des Lumières, Bruxelles: Complèxe.
Chassinand-Nogaret G., 2009, Les Lumières au péril du bûcher. Helvétius et d’Holbach, Fayard.
d’Holbach P., 1768, Lettres à Eugenie ou Préservatif contre les Préjugés, Londres-Amsterdam: M. M. Rey, Coda, 2007.
d’Holbach P., 1768, La contagion sacrée ou Histoire naturelle de la Superstition, Londres-Amsterdam: M. M. Rey.
d’Holbach P., 1770, Essai sur les Préjugés, Londres-Amsterdam: M. M. Rey, Alive, 1999.
d’Holbach P., 1770, Système de la Nature, Londres-Amsterdam: M. M. Rey, Alive, 1999.
d’Holbach P., 1770, Tableau des Saints, Londres-Amsterdam: M. M. Rey, Alive, 2001.
d’Holbach P., 1773, Politique naturelle, Londres-Amsterdam: M. M. Rey, Alive, 2001;
d’Holbach P., 1773, Système Social, Londres-Amsterdam: M. M. Rey, Corpus, 1995;
d’Holbach P., 1776, La Morale Universelle ou Les devoirs de l’homme fondés sur sa nature, Londres-Amsterdam: M. M. Rey.
d’Holbach P., 1776, Ethocratie, Londres-Amsterdam: M. M. Rey, Alive, 2001.
d’Holbach P., 1790, Eléments de la morale universelle ou Cathéchisme de la Nature, Bure; Londres-Amsterdam: M. M. Rey.
Note al testo
- La citation renvoie, ironiquement, à l’évangile de Matthieu (5, 14-15). ↩
- « Boulangerie » c’était l’appellation donnée à l’atelier de la côterie d’Holbach par l’abbé Galiani, au courant du fait que le baron, avec Diderot, avait préparé l’édition des ouvrages posthumes de Boulanger N. A., L’Antiquité dévoilée et Le Despotisme Oriental. ↩
- Dans le Catéchisme de la Nature, la reconnaissance est définie dans les mêmes termes avec lesquels Spinoza définit la « gratia seu gratitudo »: « D. Qu’est-ce que la reconnaissance? R. C’est un sentiment d’affection que tout homme raisonnable doit éprouver pour celui qui lui fait du bien ou qui lui procure du bonheur, et que son bienfaiteur se propose de faire naître en lui. (…) (Elle est) un devoir, puisqu’elle est un moyen d’obtenir de nos semblables des bienfaits nécessaires à notre propre bonheur ». (CN: 143-44). Cfr. « Gratia seu gratitudo est cupiditas seu amoris studium quo ei benefacere conamur qui in nos pari amoris affectu beneficium contulit » (Ethica III: def. 34). ↩
- « Rien n’est plus révoltant pour le cœur de l’homme, que de se voir exposé au mépris, à la dureté de ses semblables » (MU: I, 100). ↩
- Dans «heureuse & rare combinaison» retentit l’écho de la conclusion de l’Ethique spinozienne: « Et sane arduum debet esse quod adeo raro reperitur. Qui enim posset fieri si salus in promptu esset et sine magno labore reperiri posset ut ab omnibus fere negligeretur? Sed omnia præclara tam difficilia quam rara sunt». Ailleurs d’Holbach parle de la «rareté» des hommes en possesion d’une «conscience éclairée»: «Une conscience éclairée, loin d’être dans l’homme l’effet d’un sens moral inhérent à sa nature, loin d’être commune à tous les êtres de notre espèce, est infiniment rare, et ne se trouve que dans un petit nombre d’hommes choisis, bien nés, pourvus d’une imagination vive ou d’un cœur très sensible, et convenablement modifié. Dans le plus grand nombre des hommes ont ne trouve qu’une conscience erronée, c.a.d., qui juge d’une façon peu conforme à la nature des choses ou à la vérité… beaucoup de gens font le mal et commettent même des crimes en sûreté de conscience, parce que leur conscience est faussée des préjugés» (MU: I, 54-55). ↩
- Dans le catalogue des livres du baron l’Opus postumum spinozien figure au n. 236 comme «Bened. de Spinozae tractatus Theologico-Politicus, & alia Opera, Hamburgi, Kunrath, 1670, 3 vol. in 4 v. b.».Non sans ironie, Holbach réserve à Augustin la paternité du conatus sese conservandi: «Saint Augustin admet comme nous une tendance à se conserver dans tous les êtres soit organisés, soit non organisés. Voyez sont traité de la Cité de Dieu, livre XI, ch. 28». On pourrait dire que d’Holbach emploie toute une strategie pour minimiser l’évidence de l’apport que lui fournit l’auteur de l’Ethica more geometrico demonstrata, bien que ce soit l’exemple de cette œuvre qui lui permit d’écrire dans l’Avertissement de ses Élements de la morale universelle ou Cathéchisme de la Nature (1765) «La morale est une science dont les principes sont susceptibles d’une démonstration aussi claire et aussi rigoureuse que ceux du calcul et de la géometrie». Il écrit par exemple dans le SN (261, n. 2): «Ne pourrait-on pas demander au Père Malebranche si c’est en Dieu que Spinoza a pu voir son système?» (SN: 261, n. 2) ou dans le Tableau des Saints (TS: 55) «bien de savants ont cru trouver dans la Cabale la vraie source des ses opinions». ↩
- Encore une fois on peut lire dans cette proposition un écho de l’Ethique spinozienne («Nihil magis cum natura alicujus rei convenire potest quam reliqua ejusdem speciei individua adeoque nihil homini ad suum esse conservandum et vita rationali fruendum utilius datur quam homo qui ratione ducitur». E. App. IV, cap. 9) ↩
- Ce que démontrent très clairement les études de Chaussinand-Nogaret G., (1976), dont il est utile de lire La noblesse au XVIII siècle, et, en particulier, les pages consacrées à d’Holbach dans Le citoyen des Lumières (1994). ↩
- Encore une fois on a l’impression que d’Holbach cache délibérément sa citation implicite de la proposition 67 de la IVéme Partie de l’Ethique – «Homo liber de nulla re minus quam de morte cogitat et ejus sapientia, non mortis sed vitæ meditatio est», en attribuant l’idée à Montaigne. A mon avis, c’est le vivre heureusement & non le mourir heureusement, qui fait l’humaine félicité» (MU: I, XIV). ↩
- «Si quelque chose semble devoir rabaisser l’homme au-dessous de la bête, c’est sans doute la guerre. Les lions et les tigres ne combattent que pour satisfaire leur faim; l’homme est le seul animal qui, de gaieté de cœur et sans cause, vole à la destruction de ses semblables et se félicite d’en avoir beaucoup exterminé». (MU: II, 6-7). ↩