Les voies du corps. Schuyl, Clerselier, et La Forge lecteurs de L’Homme de Descartes.

Delphine Kolesnik-Antoine

Abstract: From a methodological reflection on the relevance of the categories of “tendency” and “inclination” for a study of the reception of a text, this contribution focuses on three texts that accompanied the first edition of L’Homme in his original language, in 1664: the translation of the preface by Schuyl to the 1662 Latin edition, the preface by Clerselier and the Remarques by La Forge. In order to connect these texts both to the indications given by Descartes himself in his published writings, and to the subsequent condemnation of his works, we can distinguish between three possible readings of Chapter XVIII of the Monde: 1. A reading, like Schuyl’s own, which takes physics and the statements of the fifth part of the Discours as its starting point in order to try to deduce its substantial distinction. 2. A reading, like Clerselier’s own, which is supported by the context, haunted by empirical-materialistic controversies and thereby anxious to re-inject the distinction between the substances of the Méditations at the foundation of the project of L’Homme. 3. Lastly, a reading which aims to take back up the question posed by Descartes in that place in which he posed it for the first time, that is at the beginning of L’Homme, which has as its telos is not the distinction but the union of body and soul. This is what La Forge does, who wrote the Traité de l’esprit de l’homme, de ses facultés et de ses fonctions (1666), because, according to him, Descartes has not said everything about the nature of the spirit, while a kind of “supplement” relative to this union should be provided. We can, thus, understand the crucial role played by Descartes and the Cartesians in the history of ideas, privileging a particular inclination in the text over other possible ones.

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L’étude d’un texte à partir de sa réception constitue un parti-pris méthodologique qui demande à être justifié. On proposera à cet égard trois séries de remarques préliminaires.

1/ Dès l’instant qu’une lecture, explicite ou implicite, d’un texte donné, entre dans l’arène publique et se positionne, dans un autre contexte et pour d’autres motivations que celles qui accompagnent le corpus originel, par rapport au dit corpus, elle devient un acte collectif porté par des problématiques, des acteurs et une actualité (politique, scientifique, etc.) venant réfracter un positionnement solitaire, purement internaliste ou comparatiste, qui pourrait par ailleurs désigner l’acte «pur» de la lecture. Même les notes ou commentaires marginaux directement pris sur le texte de référence pourraient s’interpréter de cette manière. Quand Leibniz ou Spinoza annotent les Principes de la philosophie de Descartes ou quand Locke produit des réflexions sur la théorie malebranchiste de la vision en Dieu, en n’ayant pas en tête de les rendre publiques, le geste même est toujours porté 1/ par des philosophies originales en voie de constitution ou déjà bien établies, qui choisissent, dans les textes de référence, les points de fracture dont il leur importe de se distinguer; 2/ et ce choix est lui-même tributaire de polémiques venues s’intercaler entre la publication du texte de départ et le contexte dans lequel eux-mêmes se positionnent (par exemple pour Locke, les polémiques suscitées par la publication de la Recherche de la vérité chez Foucher et Arnauld)1. En ce premier sens, l’étude d’un texte via l’histoire de sa réception implique de se départir d’une conception de cette dernière en termes stricts de «sources» ou d’«influences», pour faire la place à une forme de construction, de reconstruction ou de déconstruction du propos. Particulièrement lorsqu’ils s’accompagnent de l’édition du texte lui-même, ces différents procédés sont corrélées à un public ou à un art de faire lire, soit pour montrer que sa propre philosophie est meilleure que celle de Descartes, soit (et souvent les deux entreprises sont liées) pour dénouer des apories ou résoudre des incohérences dans le système de départ.

2/ Cette réception construite peut-elle alors se penser plus aisément via la notion d’invention ? Yves Citton2 la mobilise de façon très convaincante pour rendre compte du caractère élusif du spinozisme dans les Lumières radicales. Il thématise ainsi l’invention d’un rhizome «dont l’émergence doit être pensée dans sa multiplicité, sans qu’aucun centre ni aucune origine ne puissent lui être assignables». Cet «imaginaire auto-poiétique» présente, pour l’histoire des idées et pour la réflexion sur les trois textes qui nous intéressent dans l’édition de L’Homme, le double avantage de neutraliser les exigences de continuité attestables entre l’invention et la source originelle et de faire une place importante, au sein de la galerie de grands portraits constituant traditionnellement cette histoire (Descartes, puis Spinoza, Malebranche et Leibniz), aux minores souvent chargés d’y déplacer les frontières pour nous faire repenser les «grands» systèmes de façon plus dynamique. La catégorie d’invention permettrait en sens d’autonomiser celle de construction dans un contexte de réception où la lecture deviendrait, potentiellement, un acte de seconde main susceptible de forger de multiples Descartes ad-hoc. Mais pourrait-on alors toujours parler de lecture? Pierre-François Moreau thématise le problème à propos des thèses de Jonathan Israël3:

«[…] on peut tout à fait « imaginer une argumentation fondée sur l’idée selon laquelle la véritable signification d’un auteur dans l’histoire intellectuelle tient moins à ce qu’il a dit véritablement qu’à ce que lui ont fait dire ses successeurs. A condition de montrer que ce qu’ils lui ont fait dire était d’une certaine façon autorisé, voire produit par la dynamique du système lui-même».

Pour intellectuellement stimulante qu’elle soit, l’approche de J. Israël n’en produit pas moins, de ce point de vue, «un spinozisme sans Spinoza».

3/ Pour circonscrire la démarche des trois lectures de L’Homme qui nous intéressent ici, nous souhaitons ainsi proposer l’examen d’une dernière catégorie: celle de «tendance», mobilisée par Jean-Baptiste Bordas-Demoulin dans Le cartésianisme ou la véritable rénovation des sciences (Paris, J. Hetzel, 1843). Ce texte constitue la contribution de Bordas-Demoulin au concours ouvert par l’Académie des sciences morales et politiques en 1839 sur la constitution d’une histoire du cartésianisme. Y ont également répondu Francisque Bouillier et Charles Renouvier (Bordas-Desmoulin et Bouillier ont partagé le prix et Renouvier reçut la mention «très honorable»). La spécificité de l’approche de Bordas-Demoulin consiste d’une part dans l’adoption du prisme de la science et, ceci expliquant peut-être cela (car en sciences l’histoire des relations entre les doctrines et le rapport à la vérité ne se pensent pas de la même manière qu’en philosophie), dans la constitution de son histoire du cartésianisme autour de la définition de quatre «tendances» qui, pour être plus ou moins vraies voire «bonnes» selon les termes de l’auteur, sont toutes pensées comme issues de Descartes. La «tendance» diffère ainsi  de l’ «opinion» en ce qu’elle n’est «pas rigoureusement déterminée». Elle présente donc le grand intérêt d’ouvrir à plusieurs lectures possibles, très distinctes les unes des autres voire opposées entre elles, mais toujours appelées par le texte. C’est le cas par exemple, au sujet des idées innées, de la capacité de l’enfant à avoir une perception claire de l’idée de Dieu:

«[…] nous nous rangeons à l’avis de Malebranche, que Descartes n’a point eu à cet égard de sentiment arrêté, ou qu’il n’a pas voulu le déclarer» (chapitre IV, p. 191)

Plus largement, selon Bordas-Demoulins,

«[…] pour s’être borné à rappeler la pensée à elle-même et à Dieu et n’avoir point approfondi la nature des idées et des substances, Descartes tend à tous les systèmes, et fournit des armes à toutes les écoles» (chap. II, p. 48).

La thématisation de l’idée de «tendance» permet ainsi à Bordas-Demoulin d’inclure dans son histoire du cartésianisme des penseurs «sensualistes» comme Locke, que l’approche normative des spiritualistes Cousiniens excluait du registre de la filiation légitime4:

«Parmi les écrivains diversement issus de Descartes, qui se déclarent contre Malebranche, on remarque surtout Leibniz, Arnauld, Régis et Locke. Ce dernier, entendant tout matériellement, ne conçoit rien à la vision en Dieu. Quand son adversaire traite des idées, lui traite des images et des sensations. Quand il parle de l’union du corps et de l’âme, lui parle de l’union et du contact des corps. Toutefois, il a très bien saisi la conséquence qui sort du principe que Dieu fait tout dans les créatures» (pp. 68-69).

Il existe ainsi une «tendance» ou une «inclination» de Descartes au sensualisme, qui constitue peut-être un «égarement» mais n’en est pas moins directement appelée par les indéterminations du texte originel. Nous conservons donc à la fois les acquis d’une interprétation de la lecture en termes de sources ou d’influences, et la dimension inventive soulignée chez Citton ou Israël: la lecture est à la fois appelée par certaines indéterminations du corpus de départ et potentiellement distincte de lui. La conclusion de Bordas-Demoulins récapitule ainsi les quatre tendances issues de Descartes en nivelant trois d’entre elles sous la «première», qui aurait la particularité de ne pas s’égarer en exploitant l’imprécision du rapport entre idées innées et idées de Dieu:

«[…] les idées innées rétablies dans l’âme ramènent aux idées de Dieu, et il est évident que, lorsqu’on perd l’un ou l’autre de ces deux points, on doit se perdre ou en Dieu avec Malebranche, ou en nous avec Arnauld et Régis, ou dans le sens avec Locke. Leibniz rappelle la philosophie de ces abîmes, et tant qu’il n’est pas systématique, il la maintient dans la première tendance de Descartes et dans la voie de la vie» (p. 133).

Je voudrais repartir de cette conception de la lecture comme exploitation d’une tendance ou tentative de barrage à d’autres tendances définissant la trame du contexte porteur de la réception d’un texte, à partir de l’étude des trois textes accompagnant la publication posthume de L’Homme en 1664: la traduction française de la préface à l’édition latine (1662) de Florent Schuyl, la préface de Claude Clerselier et les Remarques de Louis de la Forge, auxquelles j’associerai le Traité de l’esprit humain, de ses facultés et de ses fonctions, paru en 1666 mais rédigé conjointement aux Remarques dans sa plus grande partie5.

Ces textes présentent en effet un triple intérêt:
1/ Ils lisent et font lire le même texte et ce, pour la première fois, puisque L’Homme est resté inédit auparavant (en tout cas dans sa langue originelle). Leur objectif est donc d’accompagner la mise sur la place publique d’un des tout premiers écrits de Descartes (L’Homme date du début des années 30), dans un contexte où le reste de l’œuvre (notamment les Méditations et toutes les objections qu’elles ont suscité) est déjà connu, et où la philosophie cartésienne subit des mises à l’index successives, donec corrigantur, en raison de l’assimilation de la substance corporelle à de l’étendue6.
2/ Ces trois textes ambitionnent, chacun à sa manière, de dévoiler la «tendance» première du texte de L’Homme à la lumière de deux déclarations et d’une prise de position théorique de Descartes, dont le moins que l’on puisse dire et qu’elles ne sont pas, spontanément, aisées à concilier:
A/ au tout début de L’Homme (AT XI, 119-120):

«Ces hommes seront composés, comme nous, d’une âme et d’un corps. Et il faut que vous décrive, premièrement, le corps à part, puis après, l’âme aussi à part; et enfin, que je vous montre comment ces deux natures doivent être jointes et unies, pour composer des hommes qui nous ressemblent».

La primauté, au moins chronologique, est ici donnée à la physique, distincte de la psychologie-métaphysique de l’âme, qui vient après et en est indépendante, et le point d’arrivée est désigné par la théorie unitaire. On sait par ailleurs que L’Homme, dans son état inachevé, ne remplit que le premier de ces trois objectifs.
B/ Or dans la cinquième partie du Discours de la méthode (AT VI, 59), Descartes reconstruit curieusement cet itinéraire, encore virtuel pour les lecteurs puisque L’Homme n’est pas paru:

«J’avais décrit, après cela, l’âme raisonnable, et fait voir qu’elle ne peut être tirée de la puissance de la matière».

«Après cela», c’est-à-dire après avoir montré que l’explication des fonctions organiques du corps est indépendante de tout recours à un principe immatériel. Mais la nouveauté de ce texte ne réside pas seulement dans la revendication, déconcertante, du remplissement du point 2 de l’itinéraire de L’Homme (la description de l’âme «à part»), alors que le texte inachevé s’arrête à la description du seul mécanisme corporel. Elle consiste surtout dans l’affirmation de la possibilité de partir de la physique pour en déduire la distinction substantielle, donc dans la position d’un ordre de fondation et non seulement de succession temporelle.
C/ Enfin, le parcours des Méditations et les polémiques suscitées à l’occasion des Objections, semblent mener Descartes à soutenir la voie radicalement inverse, qui part du doute radical pour endiguer toute tentation de déduire l’âme de la puissance de la matière. L’échec d’une historia prenant pour point de départ la physique et non le cogito est par exemple thématisé par les «philosophes et géomètres» auteurs des VIe Objections:

«Quelque soin que nous prenions à examiner si l’idée que nous avons de notre esprit, c’est-à-dire, si la notion ou le concept de l’esprit humain ne contient rien en soi de corporel, nous n’osons néanmoins assurer que la pensée ne puisse en aucune façon convenir au corps agité par de secrets mouvements» (AT IX-1, 223-224)7.

Ainsi, tout se passe comme si les indéterminations du texte cartésien étaient progressivement spécifiées par la pression d’un contexte polémique indifférent à l’écriture de L’Homme et bousculé ensuite par elle. Tout se passe comme si la dynamique du système appelait, de façon aussi légitime selon le point de vue que l’on adopte, trois types de lectures distinctes de L’Homme:

A/ une lecture choisissant de prendre au pied de la lettre l’affirmation de la cinquième partie du Discours pour tenter de montrer, en dépit des difficultés que cela pose, que le point de départ physique peut entraîner la distinction substantielle. C’est le parti de Schuyl.

B/ une lecture portée par le contexte, hantée par les polémiques empirico-matérialistes et les condamnations du cartésianisme et du même coup soucieuse de réinjecter, autant que possible, la distinction des substances au fondement du projet de L’Homme. C’est le choix de Clerselier.

C/ une lecture reprenant la question là où Descartes l’a posée pour la première fois, c’est-à-dire au début de L’Homme, en se fixant pour télos non la distinction mais l’union de l’âme et du corps. C’est le parti de La Forge, qui rédige le Traité de l’esprit de l’homme parce qu’il considère que Descartes n’a pas tout dit sur la nature de l’esprit et qu’un «supplément», relatif à l’union, s’impose.

3/ Il faut ainsi souligner, pour clore ces considérations méthodologiques préliminaires, que ces trois textes se répondent les uns aux autres, dans une constellation centrée sur Clerselier qui cherche à y garder la main. D’une part, la préface de Clerselier répond à celle de Schuyl, qui a selon lui commis la lourde erreur de publier trop tôt sa version latine, d’avoir dissocié la publication de L’Homme de celle du Monde, alors que le premier texte constitue le chapitre XVIII du second et, surtout, de n’avoir pas suffisamment barré la route à l’exploitation des mauvaises tendances du texte : les lectures physicalistes de la théorie de l’âme elle-même. Clerselier s’acharne ainsi à réintroduire la distinction des substances, ultérieurement théorisée dans les Méditations, au fondement de la lecture de L’Homme, afin de mettre ou de remettre le lecteur dans la première et droite tendance du texte: la tendance dualiste. D’autre part, les Remarques puis le Traité de La Forge répondent à Clerselier en réintroduisant dans leur propos ces autres tendances du texte. Cela suppose non seulement une prise au sérieux de la théorie de la distinction pour lire L’Homme, mais également une aptitude particulière à aller discuter les adversaires empirico-matérialistes de Descartes (Hobbes, Regius et Gassendi surtout) sur leur propre terrain, en les considérant comme autant d’ «inclinations» du texte cartésien (nous reviendrons sur la distinction entre tendances et inclinations). Et c’est précisément l’exploitation de ces tendances qui permet à La Forge de proposer une théorie unitaire s’enracinant à la fois dans la distinction des substances et dans les descriptions matérialistes de L’Homme, donc une troisième voie, par rapport à Schuyl ou Clerselier, présentant l’intérêt d’être explicitée par Descartes lui-même à compter des années 1643 et notamment dans les Passions de l’âme.

Ce sont ces voies du corps, sans issue, barrées, ou au contraire ouvertes, que nous souhaitons explorer dans cette contribution. Notre progression suivra celle des trois textes envisagés.



I. Clerselier : la voie de la distinction comme barrage à la voie physicaliste dangereusement empruntée par Schuyl

En 1664, Clerselier n’en est pas à son coup d’essai en matière de (re)construction, du texte cartésien. Il reconnaît par exemple, dans le tome III de son édition de la correspondance de Descartes, avoir composé une fausse lettre, qui aurait été lue publiquement à l’Académie de Montmor pour défendre la mémoire de Descartes contre Roberval8, et il est désormais notoire qu’à plusieurs reprises, il infléchit la traduction ou modifia l’intitulé même de certaines formules de Descartes9.

C’est le même genre de procédé qui est à l’œuvre dans la préface à L’Homme. Clerselier s’y attache à faire lire ce texte de physiologie à partir de la théorie de la distinction des substances. Il reprend ainsi les deux premiers moments de la déclaration inaugurale de L’Homme, mais sans faire aucunement mention de l’union:

«[…] prouver, comme une chose préliminaire au dessein [de M. Descartes], que le corps et l’âme sont véritablement deux choses ou deux substances réellement distinctes, et qu’ainsi il a eu raison de les considérer chacun à part».

L’un des premiers indices textuels, connus, de cette démarche apologétique, réside dans la mobilisation de la référence à Augustin pour instaurer une continuité entre les entreprises de l’évêque d’Hippone et de Descartes. Ce processus est courant depuis les premières censures de Louvain en 1662 et de Rome en 1663 et vise à consolider l’orthodoxie cartésienne10. Mais ce qu’en général on ne souligne pas, c’est que cette utilisation d’Augustin va à l’encontre de la façon dont Descartes prétendait précisément s’en distinguer. Car dans sa réponse à Colvius du 14 novembre 1640 (AT III, 247-248), Descartes distingue son cogito de celui d’Augustin par la volonté de prouver la distinction des substances:

«Vous m’avez obligé de m’avertir du passage de saint Augustin, auquel mon Je pense, donc je suis a quelque rapport; je l’ai été lire aujourd’hui en la Bibliothèque de cette Ville, et je trouve véritablement qu’il s’en sert pour prouver la certitude de notre être, et ensuite pour faire voir qu’il y a en nous quelque image de la Trinité, en ce que nous sommes, nous savons que nous sommes, et nous aimons cet être et cette science qui est en nous; au lieu que je m’en sers pour faire connaître que ce moi, qui pense, est une substance immatérielle, et qui n’a rien de corporel; qui sont deux choses fort différentes».

Alors que Descartes singularisait son cogito par l’ambition de démontrer la distinction des substances, Clerselier ramène en renfort la référence à Augustin pour consolider la tendance à la distinction insuffisamment affermie dans L’Homme. Ce retournement atteste de la pression des lectures empirico-matérialistes des textes de Descartes en 1664; de la propension toute particulière de L’Homme à s’y prêter; et de la haute conscience qu’avait Clerselier de la nécessité de «secourir» Descartes sur ce point11.

Mais alors qu’elle est éludée par Clerselier, cette tendance matérialiste comprise comme risque est dangereusement thématisée par Schuyl, dans sa tentative de préserver l’immatérialité de l’âme en partant de la physique.

A plusieurs reprises, selon Clerselier,  Schuyl a ainsi donné le bâton pour se faire battre, en soulignant à la fois l’insuffisance des arguments cartésiens pour réfuter ses adversaires et, du même coup, la capacité des dits arguments à prêter le flanc aux critiques des dits adversaires. Selon Schuyl en effet, Descartes

«[…] n’a pas voulu perdre le temps à réfuter ses adversaires. Mais tâchant toujours d’abréger son travail le plus qu’il lui était possible, comme dans ses Méditations il s’est contenté de faire voir clairement que notre âme et ses pensées ne peuvent être une suite ou une dépendance de la matière, sans s’amuser à réfuter les absurdités qui suivent de l’autre opinion : de même le lecteur de ce traité-ci, sans s’arrêter à découvrir les erreurs dans lesquelles plusieurs sont tombés, faute de bien distinguer auquel des deux, du corps ou de l’âme, appartienne chacune des fonctions qui sont en nous, il s’est contenté d’expliquer comment les actions corporelles se font dans notre corps; et comment les bêtes, qui n’ont point de connaissance, peuvent néanmoins, par la seule disposition de leurs organes, faire des choses, que plusieurs, faute d’y prendre garde, et déçus par une fausse et trompeuse apparence, ont cru ne se pouvoir faire que par l’entremise d’une âme connaissante».

Cet extrait disqualifie les déclarations tonitruantes de la cinquième partie du Discours. Car en renvoyant aux Méditations de 1641 la preuve de l’impossibilité, pour la pensée, de dépendre du corps, Schuyl en souligne le défaut dans L’Homme ; et en accolant le thème de l’âme des bêtes à celui du fonctionnement autonome de la machine, il réinstaure une continuité potentielle entre le traitement des questions physiques et celui de l’âme connaissante. Tous les développements qu’il propose, par exemple sur la scolopendre, dont l’âme est «un vrai corps», qui «répond à tout son corps et chaque partie à chaque partie», constituent ainsi une puissante source de projection en l’homme. Et Schuyl n’hésite pas à verbaliser toutes ces tendances néfastes potentielles, par exemple dans ce passage, qui succède à l’examen de la scolopendre, précède le renvoi aux Méditations, et constitue en un sens l’envers des objections des amis philosophes et géomètres de Mersenne:

«[…] il ne faut pas que l’accoutumance que nous avons de revêtir de fantômes toutes nos pensées, même les plus spirituelles, et de ne rien concevoir qu’en imaginant, nous fasse croire que peut-être les corps pourraient être divisés en parties si subtiles, qu’ils en deviendraient comme spiritualisés, et qu’enfin ils pourraient acquérir cette capacité de concevoir. Car bien qu’on les conçût réduits en la quintessence des plus subtils esprits animaux ou vitaux, ils n’en seraient pas pour cela moins corps, que les plus grossiers et les plus épais; puisque la subtilité ou la petitesse n’est pas moins un mode du corps, que la grossièreté ou l’épaisseur».

Dans la traduction de la préface à l’édition latine de Schuyl, théoriquement œuvre du fils de Clerselier, apparaissent ainsi certaines certaines modifications venant durcir et clarifier l’absence de commune mesure entre l’âme et le corps. Nous prendrons seulement deux exemples. 1/ Dans la citation donnée plus haut, où Schuyl établit un parallèle entre l’abrègement de certains arguments des Méditations et le texte de L’Homme, l’expression «sans s’arrêter à découvrir les erreurs dans lesquelles plusieurs sont tombés, faute de bien distinguer auquel des deux, du corps ou de l’âme, appartienne chacune des fonctions qui sont en nous» est un ajout de la traduction française. En plus du fait de l’erreur, Clerselier (Fils ? Père ? Fils corrigé par le père?) choisit ainsi d’en indiquer la cause, qui résulte d’une distinction insuffisamment comprise mais qui doit pourtant présider à la lecture de L’Homme, si l’on veut éviter de croire que ce dernier fonctionne à l’identique d’une scolopendre. 2/ De même, la tournure «motum vero et calorem membrorum à corpore procedere» est glosée par «tous les mouvements de nos membres en tant qu’ils ne dépendent point de la pensée», etc. Dans la réécriture du texte des autres comme dans l’agencement des arguments de son propre texte, Clerselier se veut donc prioritairement attentif à la mise au jour de LA tendance «dualiste» de L’Homme. A cette fin, la meilleure stratégie est selon lui celle que Schuyl attribue à Descartes dans les Méditations: ne pas réfuter les adversaires, en parler même le moins possible, car la simple verbalisation des mauvaises tendances du texte suffira à rappeler au lecteur que précisément elles en proviennent.

Les choix de La Forge sont très différents.


II. La Forge : guidé par Clerselier ou explorateur des voies barrées par ce dernier?

Dans la continuité de Clerselier, qui se tenait informé de l’état d’avancement du Traité de l’esprit de l’homme au fur et à mesure de son écriture, la préface de La Forge mobilise la référence à Augustin, au point d’en expliciter l’objectif dès le titre:

Préface «dans laquelle l’Auteur fait voir la conformité de la doctrine de st Augustin, avec les sentiments de M. Descartes, touchant la nature de l’âme».

Plus encore, La Forge ajoute aux passages cités par Clerselier toute une série d’autres textes d’Augustin12 censés gloser la distinction substantielle et l’identité de nature entre l’âme augustinienne et l’âme cartésienne. C’est le cas par exemple de la différence entre l’homme intérieur et l’homme extérieur ou de l’équivalence entre «le cogitare de M. Descartes» et «l’intelligere de st Augustin».

 

A la suite de Clerselier mais de façon moins appuyée que ce dernier, La Forge fait en outre état du combat mené par Augustin contre ceux qui lui soutenaient que l’âme n’était qu’un corps. Mais à la suite de Schuyl et d’une certaine manière contre Clerselier, il thématise dès la préface les arguments de ces adversaires et la nécessité de les prendre en considération pour élargir son panel de lecteurs potentiels. Dans un passage parodiant le début du Discours de la méthode, La Forge distingue ainsi trois ou quatre sortes de lecteurs auxquels son écrit est supposé ne pas s’adresser. Or si l’on excepte les premiers, «qui ne cherchent autre chose dans les livres que la pureté du langage», les deux ou trois autres présentent tous une forte «tendance» à se méprendre sur la nature de l’âme. Pour La Forge, il s’agit donc à la fois de les désigner comme potentiellement extérieurs à la lecture de son ouvrage et d’instaurer avec eux un dialogue privilégié, dont atteste la structure du corps de l’ouvrage dans lequel de nombreux passages, et même un chapitre entier (le chapitre V) leur sont entièrement destinés.

Ainsi alors que Clerselier considérait comme plus prudent d’ignorer les textes de Gassendi, de Regius ou de Hobbes, La Forge choisit au contraire de les citer, en y ajoutant Pierre Chanet13.  Cette stratégie est corrélée à une toute autre conception du traité de L’Homme et de sa place dans l’ordre des raisons et non seulement dans l’ordre chronologique d’élaboration de l’œuvre cartésienne.

Le premier indice de cette différence de point de vue apparaît dans la référence aux Méditations dans la préface. Alors que chez Clerselier, la distinction substantielle venait fonder la lecture de L’Homme et la renforcer, chez La Forge la référence à Augustin sert à endiguer les mauvaises lectures du début des Méditations elles-mêmes, où l’esprit se laisse aller à comparer à l’âme à un air, à un souffle, à un vent, etc. Chez la Forge, ce ne sont donc pas les Méditations et Augustin qui viennent défendre L’Homme, mais les Méditations qui ont besoin d’être défendues par Augustin parce que L’Homme est authentiquement considéré comme premier.

Le meilleur indice de cette primauté réside dans le travail d’explicitation, et même d’explication de texte, que La Forge propose à ses lecteurs au sujet de la signification du terme «idée». Au chapitre IX notamment, il souligne ainsi une confusion. Dans L’Homme, le nom d’idée est donné aux espèces corporelles, c’est-à-dire aux impressions des objets sur les sens voire même des esprits animaux sur la glande pinéale. Et c’est logiquement en ce sens que La Forge l’a repris dans ses Remarques sur L’Homme. Or dans les Méditations, ce terme vient désigner les notions spirituelles, les perceptions ou les pensées de l’esprit. «Pour éviter la confusion et l’équivoque» (p. 158), suite aux débats houleux suscités sur ce point dans les Objections, La Forge propose donc de réserver désormais le nom d’idées aux secondes et d’appeler «espèces corporelles» les premières14.

Or de façon très étonnante voire dangereuse pour un lecteur «dualiste» comme Clerselier, ce n’est pas l’idée spirituelle qui est présentée comme la plus propre à Descartes mais l’espèce corporelle, en tant qu’elle se distingue des théories de Chanet. Et c’est sur ce point que La Forge éprouve le besoin de rappeler qu’il reste bien dans l’orthodoxie cartésienne:

«Avant que de parler des idées spirituelles auxquelles ces espèces corporelles sont attachées, il me semble qu’il est nécessaire que j’ôte le scrupule qu’on pourrait avoir, que tout ce que je viens d’avancer ne soit pas conforme à la pensée de M. Descartes, d’autant qu’il parle en quelque endroit de son Traité de l’Homme comme si ces espèces contenaient exactement la peinture de l’objet; et en d’autres il semble dire que l’âme contemple immédiatement les idées qui se tracent sur la glande; c’est ainsi qu’il appelle les espèces corporelles en ces endroits là» (p. 166).

Ce qu’il importe de sauver, aux yeux des lecteurs, n’est donc pas prioritairement la distinction des substances des Méditations mais, au sein de la physique, la théorie des espèces corporelles et de leur absence de ressemblance avec l’idée spirituelle. Pour espérer montrer, en partant de la physique, que l’âme ne se déduit pas de la puissance de la matière, il faut d’abord clarifier et accréditer la juste conception de cette matière.

Cet aspect de l’argumentation pourrait apparaître comme purement stratégique. La Forge reprendrait au fond le travail de Schuyl, dans la même perspective que Clerselier mais autrement: en combattant ceux qui sont «persuadés qu’il n’y a au monde que des corps» «par leurs propres armes» et sur leur propre terrain (p. 118). La «tendance» matérialiste serait à la fois prise au sérieux dans le texte même de Descartes (notamment en raison de l’indétermination du sens du mot «idée») et invalidée par la spécification de la physique de l’idée cartésienne relativement aux autres idées matérielles (de Chanet, de Fracastor, etc.)15. Mais une telle interprétation ne rendrait pas raison de toute la deuxième moitié du texte de La Forge et du «supplément» qu’il prétend apporter à ce que Descartes «aurait dit de la nature de l’esprit à la fin du Traité de l’Homme, si la mort ne l’eut empêché de l’achever» (chap. XI, p. 186). Car ce «supplément» engage l’explication de la manière «dont les deux natures doivent être jointes et unies», et c’est ce que La Forge prétend avoir voulu faire, «au défaut de M. Descartes». Si c’est bien le travail sur la nature de l’esprit qui doit être poursuivi et défendu, et si cette défense prend la forme d’une réflexion plus poussée sur l’union, alors cela signifie que pour La Forge, la véritable tendance du cartésianisme réside dans la mise au jour, non seulement de l’union en tant que telle, mais surtout des différentes formes de «dépendance» de l’esprit envers la matière:

«[…]  pendant cette vie l’homme ne se doit pas considérer comme un pur esprit, mais comme une substance composée d’esprit et de corps, duquel l’esprit dépend en la plupart de ses fonctions» (chap. XXIV, p. 322).

Les références au matérialisme ancien, via les critiques apportées par Augustin, mises au service des débats contemporains que Descartes, à en croire Schuyl, n’a pas suffisamment pris la peine de réfuter, n’engageraient alors pas seulement la relation entre le cartésianisme et son autre mais entre le cartésianisme et son double. Nous souhaitons pour finir proposer une hypothèse sur cette position de La Forge. On peut être surpris du voisinage des déclarations sur la théorie unitaire, la «dépendance» de l’âme envers le corps et même l’existence d’une troisième substance désignant le mode d’être propre à l’homme en cette vie, et de ces autres, que l’on trouve au début du parcours du Traité de l’esprit de l’homme:

«il est absolument impossible que deux attributs essentiels, tels que la pensée et l’étendue, puissent jamais se rencontrer dans le même sujet, ni en même temps, ni successivement» (chap. III, p.115);

Ou encore: il faut bien «prendre garde à ne pas faire une seule substance de deux avec cette union» (chap. XIII, p.207).

On pourrait s’en tirer en rappelant que si Descartes lui-même ne parle jamais de troisième substance, il souligne en tout cas à la fois la vérité de ces deux points de vue (la distinction et l’union) et l’impossibilité de les penser ensemble parce qu’ils se «contrarient». Mais cela ne suffirait pas à expliquer pourquoi, sur ce point précis de l’union, La Forge prétend avoir dû «conjecturer de ce que [Descartes] aurait pu faire» (Remarques sur L’Homme), à un moment où presque toute la correspondance et le traité des Passions de l’âme sont de surcroît à la disposition du lecteur.

C’est le lieu d’élaborer, pour finir, une nouvelle distinction, dont l’explicitation était annoncée en introduction: la distinction entre tendance et inclination. Une tendance est ce qui se trouve objectivement dans un texte ou dans un ensemble de textes, ou du moins qui est à la fois appelé et non empêché par ces derniers (de là ce lieu propice qu’est l’indétermination, particulièrement lorsqu’elle est explicite). Une inclination est la lecture qu’un récepteur fait du texte, en choisissant d’y isoler une tendance contre les autres (c’est ce que fait exemplairement Clerselier), ou bien en hiérarchisant et en déchiffrant les autres à la lumière de celle-là. La hiérarchisation est plus subtile que la simple suppression, car alors on a deux textes: celui dont on hérite et celui qui hérite, qui ont les mêmes mots, les mêmes tendances, mais dans un équilibre différent, par exemple quand on pense la distinction sous la juridiction de l’union, ou le contraire. La particularité de La Forge consiste à faire droit aux deux tendances que Descartes lui-même s’interdisait de penser ensemble, mais en privilégiant l’inclination à la théorie unitaire, comprise comme primauté de celle-ci dans une structure également soutenue par la distinction des substances. La question demeure alors de savoir si cette «conjecture» est présentée comme différente du cheminement ayant mené Descartes aux Passions de l’âme, parce qu’elle est en effet distincte de l’approche adoptée dans ce dernier texte, ou parce que le relecteur Clerselier a pu la juger trop «hardie». On revient alors au point d’où l’on est parti, c’est-à-dire à la spécification de la réception, par rapport à la lecture, à la lumière de la pression du contexte. Au total, la catégorie de tendance révèle donc sa productivité à un double niveau: pour comprendre le tissu constitutif de l’histoire du cartésianisme et pour mettre au jour de nouveaux aspects de l’œuvre même de Descartes.


  1. Sur ce point, cf. S. Roux, «Comment Locke a lu la théorie malebranchiste de la vision en Dieu», in Les malebranchismes des Lumières, à paraître aux éditions Champion en 2012 (dir. D. Kolesnik-Antoine)
  2. In L’envers de la liberté. L’invention d’un imaginaire spinoziste dans la France des Lumières, Amsterdam, 2006.
  3. J. Israël, Radical Enlightenment. Philosophy and the Making of Modernity, 1650-1750, OUP, 2001; et P-F. Moreau, «Spinoza est-il spinoziste?», in C. Secrétan, T. Dagron et L. Bove -dir-, Qu’est-ce que les lumières radicales? Libertinage, athéisme et spinozisme dans le tournant philosophique de l’âge classique, Amsterdam, 2007, p. 295.
  4. Nous étudions la polysémie de la référence à Locke et sa relation avec Malebranche chez les Cousiniens dans «Is the History of Philosophy a History of Families ? The examples of Locke and Malebranche in Cousinian’s Spiritualisme», in Philosophy and its History. New Essays on the Methods and Aims of Research in the History of Philosophy, ed. By Mogens Laerke, Eric Scliesser et Justin Smith, Oxford University Press, 2012.
  5. L’Homme paraît en latin en 1662 (Renatus Des Cartes De Homine figuris et latinitate donatus a Florentio Schuyl, Inclytae Urbis Sylvae Ducis Senatore, & ibidem Philosophiae Professore. Lucduni Batavorum, Apud Petrum Leffen & Franciscum Moyardum). C’est la traduction française de la préface de cette édition latine, par Clerselier fils, assortie d’une nouvelle préface de Clerselier père (Claude) et d’importantes Remarques du médecin Saumurois Louis de La Forge, qui sont jointes aux textes du traité de L’Homme et du traité De la formation du fœtus (aujourd’hui connu sous le titre de Description du corps humain) dans l’édition de 1664. Le texte de L’Homme avait été rédigé par Descartes au début des années 1630. Il constitue le chapitre XVIII, inachevé, du traité du Monde. Les commentateurs relient généralement sa non publication à la condamnation de Galilée en 1633. La Description du corps humain est un texte plus tardif (1648), qui demeure lui-aussi inachevé. La raison en est peut-être cette fois la mort de Descartes (1650). La particularité de ce texte réside dans ses analyses embryologiques, qui jusqu’alors résistaient à une mécanisation intégrale dans le projet cartésien. On peut de ce point de vue considérer que la Description du corps humain constitue la sixième partie des Principes de la philosophie, que Descartes avait laissée en attente faute d’expériences suffisantes pour en traiter en remontant des effets aux causes.
  6. Les pièces de ce dossier ont été données par John Cottingham, Roger Ariew et Tom Sorell dans Descartes’ Meditations background source materials, Cambridge Philosophical Textes in Context, 1998
  7. Ce point est parfaitement souligné (et ce texte est également cité) par Ronan de Calan dans sa thèse Généalogie de la sensation, physique, physiologie et psychologie en Europe, de Fernel à Locke (1550-1675), à paraître aux éditions Honoré Champion
  8. G. Belgioioso, «Un faux de Clerselier», Bulletin cartésien, XXXIII, 2005, in Archives de Philosophie, 2005, 68, 1, p.148-158, consultable également sur www.cartesius.net; et son article «Les ‘correspondances’ de Descartes» dans DesCartes et DesLettres. ‘Epistolari’ e filosofia in Descartes e nei cartesiani, cura di Francesco Marrone, Le Monier, 2008, p. 8-32
  9. Cf. notamment la lettre sur les deux sens du mot «principe», analysée dans l’introduction de V. Carraud à ce même volume, p. 6 et 7
  10. De nombreux travaux ont été consacrés à cette question, en particulier le collectif d’E. Faye sur « Cartésianisme et augustinisme» (Corpus, 2000), qui fournit d’importantes indications bibliographiques
  11. Cf. les remerciements a posteriori adressés par Descartes aux IVe Objections d’Arnauld: «Je ne m’arrêterai point ici à le remercier du secours qu’il m’a donné en me fortifiant de l’autorité de saint Augustin, et de ce qu’il a proposé mes raisons de telle sorte, qu’il semblait avoir peur que les autres ne les trouvassent pas assez fortes et convaincantes» (AT IX-1, 170).
  12. Cf. notamment p. 82 : «Si le passage qui est rapporté par M. Clerselier dans sa préface sur L’Homme de M. Descartes permettait de douter que cela ne soit conforme à la pensée de st Augustin, en voici un autre», etc. Cette stratégie de l’accumulation est concentrée à la fin de la préface, p. 98, dans l’expression: «Il ne faudrait pas faire une préface, mais des livres entiers, si l’on voulait rapporter tous les passages qui se trouvent dans les œuvres de st Augustin conformes au sentiment de M. Descartes». Nous citons le texte dans l’édition de Pierre Clair, PUF, 1972.
  13. Le Traité de l’esprit de l’homme et de ses fonctions est daté de 1649. L’auteur y refuse notamment la distinction cartésienne entre espèces corporelles et perceptions spirituelles. La Forge s’y réfère en ces termes pp. 167-168: «(…) si vous prenez la peine de lire le livre de Monsieur Chanet des fonctions de l’esprit, vous verrez qu’il considère les espèces de l’imagination comme des peintures, les esprits animaux comme la lumière qui les rend visibles, et l’âme enfin comme le spectateur qui les regarde. Au lieu que nous devons considérer qu’il y a plusieurs autres choses que les images qui peuvent exciter notre pensée, comme par exemple, les signes et les paroles qui ne ressemblent en aucune façon aux choses qu’elles signifient»
  14. p. 158: «(…) encore que dans les écrits de M. Descartes le nom d’Idée soit aussi bien donné aux espèces corporelles, c’est-à-dire aux impressions des objets sur les sens, auxquelles les pensées de l’esprit sont attachées, comme aux idées qui appartiennent particulièrement à l’esprit, et qui sont les formes de nos pensées; néanmoins dans ce chapitre, et même dans tout ce traité, pour éviter la confusion et l’équivoque, je ne prends jamais le nom d’ Idée que dans le dernier sens, et j’appelle les autres idées du nom d’espèces corporelles»
  15. Sur ce point, cf. la longue explication de texte des pages 166-167: «Et pour les lieux où il (Descartes) a écrit, que l’âme contemple immédiatement les idées qui se tracent sur la glande, comme lorsqu’on dit qu’il n’appelle point du nom d’idées les seules espèces de l’imagination, en tant qu’elles sont dépeintes en la fantaisie corporelle (sed tantum quatenus mentem ipsam in illam cerebri partem conversam informant) mais seulement en tant qu’elles informent l’esprit même qui s’applique à cette partie du cerveau; ces expressions quoique très fortes ne se doivent pas entendre comme s’il avait voulu dire, que ces espèces corporelles fussent reçues dans la propre substance de l’esprit, ou que ces idées lesquelles il contemple immédiatement et ces espèces corporelles ne fussent que la même chose; mais il appelle du nom d’idées ces espèces corporelles qui se tracent sur la glande, et dit que l’âme les contemple immédiatement, parce que c’est à elles seules que les idées de l’âme qui nous représentent les objets sont immédiatement unies, et qu’à raison de l’étroite union qui est entre l’esprit et le corps l’on peut en quelque façon dire qu’elles informent l’esprit même, parce qu’il ne fait qu’un même tout avec lui»
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