Sartre face à Hegel et Trotsky : les fins et les moyens du socialisme révolutionnaire. Idée du socialisme, «Sittlichkeit», institutions de la liberté et morale révolutionnaire à partir des «Cahiers pour une morale»

Emmanuel Barot

(Université Toulouse – Jean Jaurès/ex-Mirail)
ebarot@free.fr

 
 
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Abstract: Sartre’s Being and Nothingness states that Hegel, in the Master-Slave dialectic, had an «ingenious insight» against solipsism, while asserting that each self-consciousness depends, in its very being, on other consciousnesses. However, against him, Sartre claims that the separation of the For-itself remains the insurmountable «scandal», and that collectivity can exist at most as a «de-totalized totality», but never as a Subject. The Cahiers pour une morale extends the analysis, in a true comparison with Hegelian Sittlichkeit, to the historical modalities of mutual recognition of liberties, which Sartre, in spite of everything, does not renounce while calling for a «concrete moral» that must be «revolutionary socialist», and centered, above all, on the «dialectic of the ends and means of the revolution». The Critique de la Raison Dialectique, finally analyzes, through the lens of Marxism, the living core of the Objective Spirit, and reaches its apex in the dialectic of society and State. Since sovereignty (including revolutionary) can never be the embodiment of a fictitious Subject, even when it represents the object of an irrepressible aspiration that gives rise to authentic forms of collective subjectivities strategically unified, Sartre occupies a very special position between Hegel’s Elements of Philosophy of Right (1820) and Marx’s Critique of Hegel’s Philosophy of Right (1843). His Cahiers pour une morale, in particular, represents a fulcrum around which it is possible to articulate a comparison between Sartre and Trotsky’s Their Morals and Ours (1938).
 
Keywords: Revolutionary Moral; Strategy; Marxism; History; Situation.
 
 
Introduction : d’un néant pré-historique à la négativité révolutionnaire[1]
 
On rappelle souvent, à raison, d’abord l’importance de Heidegger et Husserl dans la formation de la phénoménologie sartrienne, puis, dans l’après-guerre, la place centrale accordée à Marx et aux marxismes[2]. On oublie trop cependant, ce faisant, jusque sur le terrain d’une des questions majeures qui a animé Sartre, celui de la morale révolutionnaire, la place de la discussion de Hegel. Dans le laboratoire des Cahiers pour une morale, Sartre écrivait ceci :
 

Dialectique : à considérer les choses sans parti pris, Hegel représente un sommet de la philosophie. A partir de lui, régression : Marx apporte ce qu’il n’avait pas donné entièrement (développement sur le travail). Mais il manque beaucoup de grandes idées hégéliennes. Inférieur, Dégénérescence marxiste ensuite. Dégénérescence allemande post-hégélienne. Heidegger et Husserl petits philosophes. Philosophie française nulle. Grossière philosophie néo-réaliste. (CM 67).

Le but ici est de prendre au sérieux ce genre d’affirmation, et d’identifier et situer le rapport de Sartre à Hegel, notamment aux Principe de la philosophie du droit, tel qu’on peut le dégager de certains grands mouvements de sa pensée depuis la fin des années 1940 à la Critique de la raison dialectique, afin d’en tirer, toutes choses égales par ailleurs, quelques leçons utiles pour un marxisme révolutionnaire au XXIe siècle. Sartre n’est pas un habitué des discussions académiques, rares sont les œuvres qu’il questionne précisément, références précises à l’appui. Concernant Hegel et les Principes de la philosophie du droit, son rapport se réduit dans la lettre à quelques évocations éparses qui semblent témoigner, chez lui, de la simple reproduction de la doxa anti-hégélienne classique (critique de l’idéalisme, de la téléologie et du conservatisme de concert). Il ne peut s’agir ici de questionner une « interprétation » ou une « réception » de ces Principes au sens académiquement identifiable des termes : il n’y a rien de tel dans l’univers sartrien. Il s’agit plutôt de formuler quelques hypothèses pour construire le problème du rapport de Sartre à Hegel, en cheminant de L’Etre et le néant aux Cahiers pour une morale puis à la Critique de la raison dialectique, et moyennant un double détour : sur la notion de « situation » gouvernant la façon dont la question de la morale concrète se posera continûment chez Sartre, et sur Trotsky, avec lequel Sartre ouvre un dialogue extrêmement instructif dans les Cahiers.
 
 

  1. L’être et le néant : une matrice du problème qui reste autant au seuil de la morale qu’au seuil de l’histoire

Dans L’être et le néant « l’intuition géniale de Hegel », dit Sartre, est que la conscience de soi dépend dans son être des autres consciences : l’être-pour-autrui est constitutif de l’être-pour-soi, autrui est originairement constitutif de moi-même comme « pour-soi ». Grâce à Hegel – la dialectique du maître et de l’esclave dans la Phénoménologie de l’esprit – la matrice de la problématique de la reconnaissance mutuelle des consciences comme libertés sort dès son principe de tout solipsisme. Mais, contre Hegel, Sartre affirme que cette imbrication réciproque des consciences dans leur(s) être(s) ne saurait faire cesser ou dépasser, en raison des néantisations constitutives qui les façonnent respectivement, le régime de séparation qui les affecte : tel est le « scandale » indépassable dit Sartre : la pluralité des consciences. Pourquoi et comment Hegel étouffe-t-il le scandale, en en faisant un simple apparaître transitoire ? Parce qu’il est, dit Sartre, doublement « optimiste », et cet optimisme, épistémologique et ontologique, c’est le sens et le contenu de son « idéalisme » : le premier optimisme, « épistémologique », consiste à rabattre la question de la reconnaissance mutuelle des consciences à une question, justement, de connaissance, à rabattre la conscience de soi sur la connaissance de soi en oblitérant la dimension vécue, incarnée, bref « existentielle » de l’affaire. Le second optimisme naturellement vient élargir, entériner et fonder rétrospectivement le premier : Hegel, dit Sartre, se place du point du Tout, i.e. du Vrai, i.e. en extériorité par rapport à ces consciences dont il examine la lutte, point de vue qui, en réalité, a résolu par avance le problème qu’il prétend solutionner. Hegel s’est donné préalablement, même si c’est virtuellement, l’unité des consciences, que le point de vue de l’Absolu ne fait donc qu’actualiser progressivement.

Critique classique de l’absolu-substance, et sur cette base du telos de l’esprit sous-jacent à la dialectique du maître et de l’esclave, qui mérite discussion, mais qui contient une matrice théorique qui restera centrale pour Sartre jusqu’au bout et qui nous intéresse ici : le problème de la reconnaissance réciproque est un problème concret, vécu, toujours singularisé (ce n’est pas un problème épistémologique, mais bien « existentiel », et c’est là – mais là seulement ! précisera Questions de méthode – où Kierkegaard a raison contre Hegel), et pour poser le problème des conditions de possibilité de cette reconnaissance, une exigence est totale : il faut se situer à l’intérieur même du problème pour bien le penser. Le point de vue du Tiers transcendant ne saurait être le point de vue adéquat ni pour la compréhension, ni pour la justification, tout simplement parce qu’en son fond, un Tiers réellement transcendant est impossible, n’est qu’une fiction, et comme c’est une fiction le plus souvent non reconnue comme telle, celle-ci fonctionne comme une redoutable mystification.

Quand on se tient au cœur de la pluralité – et aucune autre position n’est réellement possible- – ressort que l’être-avec/pour/face à-autrui ne saurait jamais se résorber en un « nous-Sujet », en une belle totalité organique en coïncidence avec Soi-même : la coexistence des libertés, et la formule est déjà présente dans EN, n’advient au mieux que comme « totalité détotalisée » : les consciences sont à la fois irréductiblement constituées les unes par les autres, et à la fois irréductiblement séparées les unes des autres. Est-ce à dire qu’il faut se contenter d’une formule du type « insociable sociabilité » et de la non-solution kantienne associée du projet infini, du formalisme de l’intersubjectivité raisonnable – qui ne mange pas de pain mais ne change pas grand-chose aux conditions de la production du « pain, de la paix et de la liberté », pour reprendre, en cette année de centenaire du 1917 russe, l’un des mots d’ordre de la principale révolution prolétarienne de l’histoire ? Certes non.

La question est donc la suivante : de ce régime de dépendance-séparation, que peut-on espérer et vouloir sur le plan de cette reconnaissance mutuelle des libertés, concrètement. Cette question, Sartre la formule ainsi : que peut et doit être le contenu d’une « morale » ? C’est avec cette question ouverte que L’être et le néant se ferme. En résumé le « néant » de 1943 n’a pas encore trouvé les chemins de la négativité révolutionnaire.
 
 

  1. Détour par anticipation sur la « situation »

La notion de « situation » désigne dans L’être et le néant non pas une donnée ou un ensemble de données factuelles, elle désigne un rapport frappé du sceau de la contingence : l’insertion de la liberté dans un ensemble de conditions héritées, contingentes et non choisies à la fois (ce que le livre de 1943 désignait en partie par le terme de « facticité ». Soit la condition de bourgeois, d’ouvrier, de français, de colonisé, dans tel pays à telle époque, etc. Autrement dit le terme n’est pas seulement descriptif : il contient une double charge, ontologique et épistémologique, forte.
 
 
2.1 « La situation, c’est de la matière : cela demande à être traité » (Roquentin)
 
D’une part il « n’y a de liberté qu’en situation » (Sartre 1943, 546). « L’être-situé » est une détermination constitutive de la liberté, laquelle est donc toujours relative, même si, reposant sur la capacité de tout individu à nier ce dans quoi il est englué, celle-ci garde une forme d’absoluité : voilà pourquoi la liberté se définit comme « dépassement d’une situation », par ce que l’homme « parvient à faire de ce qu’on a fait de lui » (Sartre 1957, 76). C’est en ce sens général et fondamental que Roquentin, tentant de comprendre rétrospectivement (et y arrivant, semble-t-il, à la toute fin) les attentes de son ex-compagne Annie et surtout sa recherche des « moments parfaits », disait, dans la dernière partie de La Nausée¸ « En somme, la situation, c’est de la matière : cela demande à être traité » (Sartre 1938, 208). La situation est donc d’abord matérialité offerte à l’action, qui, à l’image de tout obstacle, n’est obstacle qu’en tant que l’action s’est donnée des fins dont la situation semble empêcher la réalisation.

D’autre part, cela implique qu’aucune compréhension (d’un œuvre, d’un événement historique, etc.), qu’aucune objectivité ne sont possibles d’un point de vue faussement « désitué ». Ceci motive autant le mode d’enquête « phénoménologique » de L’être et le néant que « l’expérience critique » de la Critique de la raison dialectique. Mais la déconstruction systématique de toutes les positions de surplomb, de survol, tous les points de vue « de Dieu », est tout autant à l’œuvre dans l’écriture romanesque que dans sa critique. Le sursis par exemple, publié en 1945, porte sur l’appréhension, autour de la conférence de Münich de 1938, de la guerre à venir, et, s’inspirant du réalisme subjectif des romanciers américains, Faulkner en particulier (mais c’est le mode de conduite du récit de Stendhal – focalisation interne, narrateur multiple – également, que Sartre appréciait, contrairement à Flaubert, qui lui cherchait en permanence à se désituer justement au travers du point de vue – névrotique – de l’absolu !) procède ainsi par la circulation permanente entre les points de vue subjectifs d’une multiplicité de personnages. Ces points de vue ne sont pas totalisables par un narrateur omniscient : cette guerre, tout le monde la sent, mais personne n’arrive à la penser. C’est donc la circulation elle-même qui va produire la signification et la compréhension progressive. Enfin cette mise en situation intervient autant dans la critique littéraire, comme dans la critique politique plus largement, de l’autre côté du mur des mots : « La fonction du critique est de critiquer, c’est-à-dire de s’engager pour ou contre et de se situer en situant » écrit-il en Situations I.

Si donc d’un côté « situation » désigne une facticité en quelque sorte donnée (mais relative), de l’autre, le terme signifie mise en situation, qualification compréhensive et pratique, c’est-à-dire effort de transformation de cette facticité, bref : engagement au titre d’une relation d’immanence à ce sur quoi / vers quoi se porte l’engagement. C’est dire le caractère extrêmement large, transversal du concept de situation, au point qu’il est presque problématique d’en faire « un » concept – en bon nominaliste, et comme les dix volumes des « Situations » que nous connaissons l’incarnent, c’est un terme qui renvoie au fait contingent de la liberté sous contraintes, et à l’injonction à la liberté malgré les contraintes, mais à partir de et vers elles (pour les faire sauter).
 
 
2.2 Vers les contradictions de « l’être-situé » dans le pratico-inerte et le défi d’une morale révolutionnaire
 
Mais cette situation comme matérialité offerte à l’action, et comme désignateur du complexe relationnel de la liberté aux prises de façon immanente avec ce « coefficient d’adversité des choses » disaient L’être et le néant comme les Cahiers pour une morale, préfigurent évidemment le « pratico-inerte » de la Critique. En effet cette « matérialité offerte à l’action », devient, dans la Critique, inertie offerte à la praxis, trouvant alors une extension des plus formidables : l’inertie devient la matérialité d’une histoire qui a dévié (sous le visage du stalinisme), offerte à une action impuissante, et qui ne peut être « traitée », momentanément du moins, que par la réflexivité conceptuelle. « L’expérience critique », ce qui fait l’objet de la deuxième section, hyperéflexive, de l’Introduction à la Critique est cet élargissement maximal du concept de situation. Sartre se donne alors, finalement, comme situation, l’état total de l’histoire, et pour défi, l’objectif de traiter cet état total, de le totaliser (du moins d’exposer les prolégomènes requis pour cette totalisation, tout en refusant d’embrasser cet situation totale de l’extérieur). Mais comme le concept de situation est ambivalent, diagnostic et prospectif, il est chez Sartre, avant même qu’il n’assume et ne revendique « le » marxisme et la dialectique, un concept dialectique.

Il faut donc s’intéresser au versant politico-éthique que véhicule le concept. Être libre, c’est être situé, c’est donc agir sous la gouverne du relatif, du contingent, de l’immanence et des effets immanents d’extériorité et de contrainte induits par les résultats des actions des praxis (les contre-finalités). Il y a en réalité des tas de textes qui abordent ce problème, les Situations mais aussi tout particulièrement dans le Saint-Genet, L’idiot de la famille, ou encore L’espoir maintenant. Mais ce qui va nous intéresser ici, c’est le cheminement conduit avant tout dans les Cahiers pour une morale, qui amène Sartre, après une position hégélienne du problème de la reconnaissance réciproque des libertés dans les termes d’une morale concrète, d’une « Sittlichkeit », à creuser le rapport fins-moyens, comme forme prospective et stratégique du problème de la situation, au travers d’une brève mais puissante discussion de Leur morale et la nôtre de Trotsky.

Or l’enjeu de cette discussion, c’est celui d’une morale révolutionnaire : celle qui doit s’adjoindre comme dimension prospective – l’être-situant –, à la dimension diagnostique – l’être-situé, et qui va être le filigrane de la Critique et de nombreux textes ultérieurs. La liberté, ces projets de la praxis, aux antipodes de toute robinsonnade, enveloppent toujours déjà un rapport complexe aux autres praxis : les deux déterminations de la situation se cristallisent de façon explosive dans l’expérience toujours contrastée de la limitation et de la reconnaissance réciproque des libertés. La « situation » n’est pas seulement singularisation de l’universel et matérialité offerte à l’action, elle est aussi intrinsèquement : conflictualité interindividuelle traversée par la normativité véhiculée par la structure de projet de tout agir de la praxis. Et le problème de cette normativité en situation, c’est le rapport moyens-fins qui le concentre, problème qui justement s’invite au cœur de la réflexion dans les Cahiers pour une morale, en vertu d’une série de déplacements conceptuels qu’il faut identifier.
 
 

  1. Cahiers pour une morale: « Dans l’Histoire aussi, l’existence précède l’essence »

L’être et le néant reste autant au seuil de la morale (explicitement) qu’au seuil de l’histoire (implicitement), et laisse en quelque sorte flotter cette question de l’être-en-commun dans le ciel éthéré des formules sentencieuses (raison pour laquelle Marcuse[3] affirmait le caractère encore bourgeois de ce texte – ce que n’aurait pas récusé Sartre, en partie du moins), malgré le centrage progressif du propos sur la catégorie de l’action. Dès les Cahiers pour une Morale, bien avant la Critique de la raison dialectique donc, c’est le problème, du rapport entre morale et histoire qui devient déjà central pour Sartre, avec, comme point pivot la question de l’action. Or, dans les Cahiers, alors qu’il est par ailleurs déjà entré dans le débat avec le marxisme orthodoxe dans Matérialisme et révolution en 1946, son interlocuteur privilégié n’est ni Heidegger, ni Marx, mais bel et bien Hegel. La question de la morale concrète qui prédomine alors apparente son investigation à une réflexion sur la Sittlichkeit, entendue (autant par Hegel que lui-même) comme sphère-processus de réalisation sociale et historique de l’idée de liberté, bref, apparente explicitement le propos de Sartre à une interrogation continuée sur la constitution de l’esprit objectif de la liberté.
 
 
3.1 « Principe essentiel de l’historicité », « totalité détotalisée » et « dilemme de la morale »
 
Le lien principal entre L’Être et le néant et les Cahiers, en résumé, est le processus d’« internalisation » du problème, initialement extérieur, de l’histoire, qui permet à Sartre de reformuler ses grandes thèses de 1943 un plan élargi. D’une part,

 

[…] Il n’y aurait pas de morale si l’homme n’était en question dans son être, si l’existence ne précédait l’essence. (CM 39).

D’autre part

 

L’apparition du pour-soi [donc de l’Autre, càd de la « totalité détotalisée » dans son ambivalence[4]] est à proprement parler l’irruption de l’Histoire dans le monde. (CM 18) ; [bref] Dans l’Histoire aussi l’existence précède l’essence. (CM 38).

Autrement dit ce qui fait qu’il y a morale (et droit, on le verra) est ce qui fait qu’il y a histoire : ils n’adviennent qu’en raison d’un décalage entre être et devoir-être, lequel ne surgit que pour le pour-soi (d’où au passage l’absurdité d’un droit de ou dans la nature) qui est donc puisque celui-ci en vertu de cette scission originaire entre être et devoir-être, projet de soi et du monde contre une condition subie non choisie. Une question surgit alors : qu’est-ce qui est dépassable, que peut-on abolir, et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Pour répondre à cela, il faut d’abord revenir au fait que le pour-soi, en vertu même de cet « être-situé » abordé plus haut, est incapable de s’extraire de sa situation au point de pouvoir prétendre à un point de vue de survol consistant sur le problème de la liberté et sa réalisation. Tel est le

 

Principe essentiel de l’historicité […] : rien ne peut agir sur l’Histoire sans être dans l’Histoire et en question dans l’Histoire. (CM 50) ; [bref] L’Histoire n’a pas de dehors. (CM 59).

De ce fait ni un savant individuel, ni un philosophe ni aucun « parti » ne peuvent prétendre être l’interprète objectif de l’histoire, prétention naturellement fondée sur une prétendue, mais illusoire, extériorité à l’objet concerné. Les « collectivités historiques » sont pour cela des « totalités détotalisées » (CM 26), affirmation à partir de laquelle marxisme dogmatique et Hegel sont renvoyés dos-à-dos. Pourtant, dit Sartre, « l’Histoire a un sens si l’Esprit est Un » (CM 27) ; « S’il y a une histoire, c’est celle de Hegel, il ne peut y en avoir d’autre » (CM 31). La condition, le double « si » n’est pas des moindre, et Sartre n’y souscrit pas : au contraire, il énonce cette critique récurrente du « mythe hégélien » (CM 27), c’est-à-dire de « l’hypothèse-mythique de l’Esprit Un » (CM 33[5]), corrélative du double « optimisme » déjà évoqué. Pour autant, Sartre rejette-t-il en bloc la philosophie hégélienne de l’histoire ? Nullement : en aucun cas il ne rejette « l’esprit objectif » hégélien : ce qu’il rejette c’est bien sa prétendue unité (illusoire répète-t-il, CM 39), corrélative de cette prétendue « substantialité ». Bref Sartre refuse le singulier et passe au pluriel.
 

[La] Totalité détotalisée […] n’est pas la Totalité concrète, même si elle joue la Totalité. Car la seule Totalité, Hegel l’a bien vu, ce serait l’Absolu-sujet. Mais cela veut dire justement un seul sujet ou, si l’on veut, la fusion réelle et ontologique de toutes les consciences en une. […] Ainsi la réalité de l’Histoire est masquée. Car son ressort essentiel, c’est bien en effet l’inégalité entre la Totalité et la singularité. Mais cette inégalité est par principe insurmontable. La fin de l’Histoire ce serait l’avènement de la morale. […] La moralité n’est pas d’ailleurs fusion des consciences en un seul sujet, mais acceptation de la Totalité détotalisée et décision à l’intérieur de cette inégalité reconnue de prendre pour fin concrète chaque conscience dans sa singularité concrète (et non dans son universalité kantienne. (CM 94-95).

D’où ce que Sartre nomme le « dilemme de la morale » :

 

Le dilemme de la Morale : si le but est déjà donné, il devient un fait et de l’être, non pas une valeur ; si le but n’est pas donné, alors il est gratuit, c’est l’objet d’un caprice. C’est qu’on a mal compris […] Il y a […] ici le surgissement originel non pas des buts mais des questions. Les réponses ne sont pas données. Il n’y a pas du tout de réponse : il faut non les trouver mais les inventer. (CM 494).

Dilemme qu’il formule comme « antinomie » de la morale (repli sur soi de la disposition-d’esprit subjective) et de l’histoire (ou règne de l’extériorité, centrage sur l’efficacité permettant de produire le « milieu extérieur » objectif) :

 

[…] Ainsi s’entrevoit, par-delà l’antinomie de la morale et de l’Histoire [étau de la morale subjective-abstraite (Kant) et du machiavélisme objectif : CM 15], une morale concrète qui est comme la logique de l’action effective. (CM 109-11).

 
3.2. De l’équation « Morale = théorie de l’action » au retour de « l’Idée »
 
Or dépasser cette antinomie, tel était exactement le propos des Principes de la philosophie du droit de Hegel. Cependant, pour Sartre, la solution de l’antinomie ne peut être aucune Aufhebung : c’est alors le primat de la praxis qui s’impose.

 

Morale = théorie de l’action. Mais l’action est abstraite si elle n’est travail et lutte. (CM 25).

Mais l’action elle-même, à rebours, s’impose comme catégorie centrale de la philosophie de l’histoire elle-même :

 

Une philosophie de l’Histoire et une Histoire, une morale historique devraient en premier lieu s’interroger sur la nature de l’action. Il faut reprendre au niveau même de l’ontologie puisque l’Histoire étudie l’action des hommes sur le monde, l’action de l’homme sur les hommes, la réaction des hommes et du monde sur l’action première. C’est donc une catégorie essentielle de l’Histoire aussi bien que de la morale […]. (CM 56).

Travail et lutte sont ainsi, comme l’indiquait la Phénoménologie de l’esprit les modes pratiques matriciels de réalisation d’un projet de soi et du monde, projet qui ne s’élaborent que par ressaisie de possibles déjà existants, au moins sous forme abstraite, d’objet de pensée – d’idées.

Or c’est autour de cette question de l’idée-fin que Sartre fait se conjoindre autant le jeune Marx que Hegel, mais en en déployant les enjeux au travers de la discussion avec Trotsky.
 
 

  1. L’idée-fin du socialisme révolutionnaire et la discussion avec Trotsky

4.1 L’idée comme « proposition » en attente de matérialisation-pluralisation
 
Cette idée-fin, ce but (exemple de la camaraderie pris en CM 213), c’est l’« idéal de la reconnaissance réciproque des libertés » (CM 280) que Sartre, on l’a vu, reformulait à partir de sa reprise critique de Hegel. L’idée-fin requiert la compénétration mutuelle de l’intériorité de consciences « converties » et l’extériorité d’institutions universalistes, mais sur la base d’un rejet radical de toute présupposition d’unité substantielle. Un aspect clé de cette « philosophie de l’Histoire », qui pour cela ne saurait se réduire à une science de l’histoire, quelle qu’elle soit, est, dit Sartre, que pour se réaliser effectivement, une idée doit d’abord se faire « proposition », quelque chose d’« étalé, passif ouvert » (CM 43), qui doit être « repris » (CM 43) ; « toute reprise est dépassement, avant même l’invention consciente et dirigée » (CM 44), l’idée se trouvant alors « engagée dans le marbre de l’extériorité » (CM 54). Cette « extériorité », cette objectivation, s’aliène : elle se diffuse, se partage, se pluralise, s’adapte, devient autre que ce qu’elle était comme idée (CM p. 20-21).

 

On n’adopte pas une idée : on s’y coule. Attendu que l’idée n’est pas une bille qu’on met dans un sac mais un immense complexe de pensées, d’actes et de sentiments, une hypothèque sur mon avenir et un éclairement de mon passé. (CM 21).

Quelle est cette objectivité, nouvelle pour elle ? C’est celle de l’« Action des mœurs, coutumes, religion, idéologie, etc. : bref, l’Esprit objectif. » (CM 31). Hegel donc. Dès lors la question : comment des fins morales peuvent-elles s’objectiver, se faire « esprit objectif », c’est-à-dire comment l’idée de liberté devient-elle wirklich, devient la question – tout en évitant la formule de l’utopie à la kantienne du règne des fins ? – : comment le socialisme est-il réalisable ?
 
 
4.2 Trotsky, Leur morale et la nôtre, et les deux visages antinomiques de « l’idée »
 
D’une certaine façon, la discussion de Trotsky, outre le contexte historico-politique où Sartre est alors engagé dans des relations étroites avec le trotskysme[6], est anticipée dans les Cahiers par toute une série de thèses, et en premier lieu celle selon laquelle « La morale aujourd’hui doit être socialiste révolutionnaire » (CM 20). Or, d’autre part, en vertu de l’absence de totalisateur transcendant comme on l’a vu,

 

L’Histoire est un type de réalité tel que rien d’extérieur à l’Histoire ne peut agir sur l’Histoire. Le seul mode d’action d’une idée ou d’une loi, c’est de surgir dans l’histoire. (CM 46).

Ainsi la question n’est autre que : comment l’idée-fin révolutionnaire peut-elle aujourd’hui s’énoncer, surgir et se faire histoire, s’emparer des masses pour devenir une force matérielle ? Voilà en quoi Sartre retrouve très précisément le questionnement de Marx dans l’Einleitung à la Critique du droit politique hégélien de 1843, mais d’emblée en posant la question sur le terrain du rapport entre les fins et les moyens, ce qui revient à poser le problème d’une morale concrète par-delà le « dilemme de la morale », soit d’une pensée de la morale situation comme qui soit d’emblée une pensée stratégique. Reprenons cette citation :  « Morale = théorie de l’action. Mais l’action est abstraite si elle n’est travail et lutte » (CM 25). Travail, lutte, action concrète-morale, sont projectivement animées par l’idée de liberté. Et de ce que « Le seul mode d’action d’une idée ou d’une loi, c’est de surgir dans l’histoire », la question historique, la question morale et la question de l’action fusionnent. C’est en cela que la morale de situation est de part en part la forme que prend la dimension de l’intersubjectivité du point de vue du processus révolutionnaire, laquelle s’écartèle alors, dit Sartre, entre « deux exigences antinomiques qu’il faut conserver toutes deux » :

 

La première c’est de définir avec les opprimés un Bien positif à la lumière duquel le Mal apparaît comme mal et qui est nécessairement hypostasié comme but dans l’Avenir. C’est la maxime directrice de l’Action, c’est l’idée régulatrice. Cette idée est le Socialisme (qu’il faut d’ailleurs définir […] à partir de l’œuvre et de la liberté – donc du mouvement […]

Elément abstrait donc, qu’il faut « concrétiser », mais pas en déployant mécaniquement des moyens qui serait adaptés à une telle fin présupposée comme donnée et figée :

 

La seconde c’est de ne pas prendre au sérieux cette Idée infinie [à l’opposé de tout impératif catégorique], parce qu’elle demeure nécessairement en suspens dans la liberté des hommes à venir [soit, primat de la liberté sur la loi], et qu’elle ne peut être pour eux une Fin absolue que nous aurions inscrite par notre action dans les choses mais seulement une proposition. Nous avons à imposer notre Bien à nos contemporains, à le proposer à nos descendants. (CM, 109-111).

Quand Sartre dit que la fin est à imposer, mais qu’il ne faut pas la prendre au sérieux[7] au risque de rendre inessentielle la liberté des hommes qui cherchent à l’atteindre (CM 109), il refuse, entre autres, le stalinisme, n’importe quel pur et simple « machiavélisme ». Le rapport fins-moyens à la fois n’est naturellement pas d’extériorité (mécanique, purement instrumental). Mais en même temps il n’est pas de pure intériorité, c’est un rapport contradictoire. La fin à la fois est et n’est pas dans le moyen, et le moyen à la fois est et n’est pas la fin. C’est exactement sur ce point que Sartre conduit sa discussion de Trotsky.
 
 
4.3 Les fins et les moyens
 
Le rythme de l’action et de l’histoire permet de « structurer » cette relation entre les deux visages de l’idée de socialisme, en termes, le plus souvent problématiques, mais assez inévitables, « d’étapes », ce qui signifie surtout ici qu’il n’y a pas de fins absolues ou catégoriques, mais relativité et historicité des fins. Sartre cite plusieurs passages clés de Trotsky[8]. D’une part « Le moyen ne peut être justifié que par la fin. Mais la fin a aussi besoin de justification. » (CM 169) D’autre part (« excellent » exemple de la démocratie pris par Trotsky dit Sartre) « toute fin devient moyen selon le processus dialectique » (CM 168[9]).

Ce que Trotsky redit en fin de son texte :

 

Le matérialisme dialectique ne sépare par la fin des moyens. La fin se déduit tout naturellement du devenir historique. Les moyens sont organiquement subordonnés à la fin. La fin immédiate devient le moyen de la fin ultérieure… (Trotsky 1938).

Mais lorsque Trotsky dit que « la fin se déduit », Sartre pointe ce qu’il estime être un résidu kantien (CM 169, au travers d’un argument du reste peu convaincant), quelque chose comme une possible absolutisation. La fin pour Sartre ne se « déduit » pas, elle se propose on l’a vu : elle est à mi-chemin entre le régulateur et le constitutif, le peux et le dois. Cette ambivalence, ces deux visages de la fin, sont les deux visages d’une fin encore abstraite qui chercher à passer au concret. Voilà pourquoi elle doit être imposée et non prise au sérieux à la fois, elle fait l’objet d’une lutte à mort mais ne doit pas préjuger de la liberté des hommes à venir : d’où le fait que la fin ne tolère pas n’importe quel moyen – comme le dit Trotsky :

 

Serait-ce que pour atteindre cette fin tout est permis ? nous demandera sarcastiquement le philistin, révélant qu’il n’a rien compris. Est permis, répondrons-nous, tout ce qui mène réellement à la libération des hommes. […] Le moraliste insiste encore : serait-ce que dans la lutte des classes contre le capitalisme tous les moyens sont permis ? Le mensonge, le faux, la trahison, l’assassinat « et cætera » ? Nous lui répondons : ne sont admissibles et obligatoires que les moyens qui accroissent la cohésion du prolétariat, lui insufflent dans l’âme une haine inextinguible de l’oppression, lui apprennent à mépriser la morale officielle et ses suiveurs démocrates, le pénètrent de la conscience de sa propre mission historique, augmentent son courage et son abnégation. Il découle de là précisément que tous les moyens ne sont point permis. Quand nous disons que la fin justifie les moyens, il en résulte pour nous que la grande fin révolutionnaire repousse, d’entre ses moyens, les procédés et les méthodes indignes qui dressent une partie de la classe ouvrière contre les autres ; ou qui tentent de faire le bonheur des masses sans leur propre concours ; ou qui diminuent la confiance des masses en elles-mêmes et leur organisation en y substituant l’adoration des « chefs ». Par-dessous tout, irréductiblement, la morale révolutionnaire condamne la servilité à l’égard de la bourgeoisie et la hauteur à l’égard des travailleurs, c’est-à-dire un des traits les plus profonds de la mentalité des pédants et des moralistes petits-bourgeois. (Trotsky 1938).

Dès lors, dit Sartre, « Lorsque Trotsky repousse certains moyens il pose par là même l’existence des valeurs et de la liberté. » (CM 176) et l’on retrouve la position dialectique du problème déjà présentée :

 

Si la fin est à faire, si elle est choix et risque pour l’homme, alors elle peut être altérée par les moyens, car elle est ce qu’on la fait, et elle se transforme à mesure que l’homme se transforme lui-même par l’usage qu’il fait des moyens. Mais si la fin est à rejoindre, si en un certain sens elle a suffisance d’être, alors elle est indépendante des moyens. A ce moment on peut choisir tous les moyens pour l’atteindre. (CM 191).

La fin est à faire plus qu’à rejoindre, mais elle reste à rejoindre dans la mesure où elle est ne sera rejointe qu’en tant qu’il faut la faire. A la fin de Leur morale et la nôtre, « livre fort mais court » (CM 167) disait Sartre, Trotsky écrit :

 

Les questions de morale révolutionnaire se confondent avec les questions de stratégie et de tactique révolutionnaire. L’expérience vivante du mouvement, éclairée par la théorie, leur donne la juste réponse. (Trotsky 1938).

Sartre ne dit pas, et ne dira pas, autre chose, en vertu même des implications de son concept de situation, qui converge totalement avec les raisons mentionnées par Trotsky juste avant la précédente affirmation :

 

Ces critériums ne disent pas, cela va de soi, ce qui est permis ou inadmissible dans une situation donnée. Il ne saurait y avoir de pareilles réponses automatiques. (Trotsky 1938).

Voilà pourquoi l’on retrouve, que ce soit au plan épistémologique de la compréhension des « situations », qu’au plan éthico-politique de l’engagement qu’elles requièrent pour leur transformation, l’injonction léniniste à l’analyse concrète des situations concrètes, et au passage aux problèmes globaux de la stratégie et de la tactique de la transition révolutionnaire (aux problèmes de tout « programme de transition ») – ce que fera Sartre dans chacune des « situations ».

D’un point de vue marxiste, à défaut d’aller plus loin dans le normatif, même si ce sera son objectif dans ses études des années 60 sur le sujet[10] au moins au plan diagnostique, « clinique », on pourra creuser l’affaire, et montrer à chaque fois dire que tout choix concret, en matière morale, est l’expression consciente, assumée, éventuellement révoltée, etc., d’une position de classe traversée par les strates névrotiques accumulées à proportion des pathologies constitutives entre autres de la sphère familiale – comme dans les milliers de pages du Saint Genet et de L’idiot de la famille – et jamais ni un hasard, ni une nécessité, ni une pure auto-détermination[11].
 
 
4.4 Retour à Hegel : Etat, morale et histoire
 
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Comment les Cahiers prennent-ils position, plus précisément, sur la question de la théorie hégélienne de l’Etat ? On a vu, d’abord, que la scission entre être et devoir-être, constitutive du pour-soi, était au principe de toute morale et de tout droit. Mais simultanément, Sartre consacre de longs développements à l’idée que les formes historiques millénaire de cette scission restent contingentes et dépassables. L’existence du droit, en tant que manifestation de la liberté (Hegel, Sartre), est tout autant manifestement de l’oppression : une société de droit est une société d’oppression, ce que Hegel avait parfaitement vu et dit (Principes de la philosophie du droit, § 243 et suiv.). Le droit, dit Sartre, « ne surgit que lorsqu’il est nié et comme négation de ce qui le nie » (CM 145).

La morale formelle et le droit abstrait sont essentiellement négatifs (d’où la référence à l’appui des Principes hégéliens sur ce point, CM 148), bien que sur l’Etat, comme sur les concepts d’Histoire ou d’Esprit, Sartre prenne position contre la vulgate hégélienne. Ce qui est particulièrement saisissant est cependant l’argument pris : il affirme (CM 50) que si la collectivité se constitue en Etat pour se récupérer comme Sujet (thèse majeure de Hegel), dès lors l’Etat se pose à côté de la collectivité comme son aliénation. C’est exactement la thèse de Marx dans la Critique du droit politique hégélien : or c’est d’autant plus intéressante que cette critique sartrienne de Hegel, dans les Cahiers, n’est pas menée, explicitement du moins, du point de vue de Marx. Le rapprochement n’est en que plus fort. Sartre reconnecte alors la question de l’Etat, de la morale et de l’histoire comme suit :

 

L’Histoire sera toujours aliénée […] Si toutefois nous imaginons une utopie où chacun traite l’autre comme une fin c’est-à-dire prend l’entreprise de l’autre comme fin, nous pouvons imaginer une Histoire où l’altérité est reprise par l’unité, bien qu’elle demeure toujours ontiquement. Mais aucun Etat comme médiateur entre les individus ne peut réaliser cette situation puisque l’Etat ne peut traiter les individus en liberté. Il faut une détermination morale de la personne à traiter en fin les autres personnes ; ainsi le passage de la pseudo-Histoire à l’Histoire vraie est soumis à cette détermination a-historique de tous de réaliser la morale. (CM 54).

Par quoi l’on retrouve (i) la nécessité de la compénétration et de la coïncidence des conditions « objectives » et conditions « subjectives » qui définit la praxis révolutionnaire dans la troisième « Thèse sur Feuerbach’ de Marx, mais tout autant, sur fond, cependant d’un apparent (et questionnant) crypto-pantragisme de l’aliénation perpétuelle ; (ii) la thèse hégélienne de la nécessité d’une telle compénétration-adéquation du « milieu extérieur » et de la « disposition-d’esprit », adéquation qui fut le problème principal, disait Hegel, de la révolution française.

Dans la lettre, il faut reconnaître que c’est au moins autant le style hégélien que celui de Marx que Sartre mobilise. Hegel, dans la section consacrée au « monde germanique » de son cours sur la philosophie de l’histoire de 1822-1823 affirmait ainsi que « Sans changement religieux [disposition-d’esprit subjective], aucun véritable changement politique, aucune révolution ne peut réussir » (Hegel 1822-23, 537). Sartre lui, écrit que

 

La révolution historique dépend de la conversion morale [nous soulignons]. L’utopie c’est que la conversion de tous à la fois, toujours possible, est la combinaison la moins probable (à cause de la diversité des situations). Il convient donc d’égaliser les situations pour rendre cette combinaison moins improbable et donner à l’Histoire une chance de sortir de la pseudo-Histoire. A ce moment nous voilà agents historiques, au sein de la pseudo-Histoire, parce que nous agissons sur les situations dans l’espoir de préparer une conversion morale. (CM 54-55).

« Egalisation des situations » et « conversion morale » donc, tel est double but du révolutionnaire, en tant qu’il est tout autant le régime d’action que la fin visée, le « mouvement réel » qui mène à l’idée-fin en tant qu’il la façonne et la réalise dans l’exacte mesure où il est guidée par elle – les deux pôles définitionnels du « communisme » chez Marx. D’où les « deux exigences antinomiques » relatives à l’idée du socialisme déjà abordées, mais que Sartre réaborde via Lénine.

 

Un révolutionnaire, comme le disait Lénine, n’a pas de morale parce que son but est concret et que ses obligations se font annoncer par la fin qu’il se propose. Et Hegel a bien montré que dans la petite cité antique le lien concret du citoyen avec la ville tenait lieu de morale. La morale est par définition un fait abstrait : c’est le but que l’on se donne quand il n’y a pas de but. (CM, 109-11).

De Lénine à Hegel, cette fois, donc.
 
 
4.5 L’union des opprimés et la tâche des révolutionnaires : créer de nouvelles institutions de la liberté
 
Les contours de l’espace politico-théorique des Cahiers sont encore imprécis, denses et parfois retors, on le voit. Mais le texte est rétrospectivement prometteur, et avant d’en venir à la Critique de la raison dialectique qui va aborder tout cela plus avant, revenons cependant une dernière fois dans cette section sur Hegel lui-même en passant par un autre lieu de son rapprochement à Sartre – i.e. en inversant le regard :

 

L’union des opprimés se fera donc par la violence et elle contredira toujours le droit existant. En un sens elle sera donc toujours blâmable et punissable. Si elle est victorieuse elle établira un autre droit, ou, plus exactement, la situation se transformera automatiquement en situation de droit, parce que l’homme est par essence juridique, c’est-à-dire qu’il n’est pas seulement une force mais une liberté et que ce qu’il opère par la force doit pouvoir être considéré aussi comme expression de la liberté. (CM 151).

La morale concrète est celle des conditions de réalisation de la liberté contre une société d’oppression : ce sens de l’essence « juridique » de l’homme, n’est-ce pas très exactement celui du concept hégélien de droit ? La morale concrète ici est par définition violente (CM 151) puisqu’elle contredit toujours le droit existant. Ici Sartre est sur la ligne de Marx (dans La guerre civile en France par exemple), alors que Hegel a le plus souvent soin de défendre l’idée selon laquelle la rationalité d’une transformation juridique repose sur constitutionnalité, sa conformité à la constitution.

Et pourtant, au § 350 des Principes de la philosophie du droit, tout en ménageant le principe d’un progrès par de simples réformes, Hegel (1820, 436) affirme le « droit absolu de l’idée de faire irruption, que ce soit comme législation nouvelle ou comme violence et déni du droit », et, ajoute-t-il, ce droit est le « droit des héros à fonder des Etats » (Machiavel en filigrane, celui dont la voix est restée sans écho disait déjà Hegel en 1802 dans sa Constitution de l’Allemagne). Pas simplement le Machiavel théoricien de la construction de l’unité nationale, mais celui du livre VI du Prince, de l’innovation radicale, de la virtu qui accomplit le politique révolutionnaire, à l’image des Moïse, Romulus, et Thésée – le Machiavel des créateurs d’une nouvelle rationalité politique et historique de la liberté, pour qui les bonnes armes seules rendent possibles les bonnes lois, soit le Machiavel des demi-dieux, qui, s’ils sont « grands hommes » sont bien de tels héros. A titre de suggestion, nous dirons donc qu’au sortir de la machinerie sartrienne, la réalisation de l’idée qui fonde son droit à faire irruption, dorénavant c’est le socialisme, et ces héros, ce sont les révolutionnaires[12].

Comme en témoigne entre autres Morale et Histoire[13], Sartre n’a cessé de réfléchir de fait à cette Sittlichkeit, prolongeant la Critique qui se centre sur la question de l’institution et de la souveraineté. Ce texte s’interroge tout au long sur la « dialectique des mœurs et des institutions » (MH 308), les modalités d’articulations d’un radicalisme éthique au politique révolutionnaire, en partant de cette caractérisation (MH 310),

 

La pyramide des institutions et des mœurs et leur conditionnement réciproque… est l’objet réel de l’expérience éthique », bref, que « … l’ensemble éthique réel, constitué par les impératifs et les valeurs directement liées au pratico-inerte soutenu par l’ensemble social est fondamentalement lié (par les nombreuses médiations que l’on sait) au besoin, à la praxis, au champ pratique et au pratico-inerte, la liaison fondamentale impératifs-valeurs reflétant la lutte des classes. (MH 407).

Complexité redoutable de cet ensemble éthique réel, qui se réfracte, se condense et se perd en partie en croyant s’y solutionner, dans la question des formes institutionnelles à souveraineté spécifiée (explicite) titulaire des moyens de la force, l’Etat et ses appareils, en leurs logiques contradictoires. D’où la redoutable, inhumaine diront d’aucuns, tâche de la révolution aujourd’hui : réfléchir aux institutions de la libertés, autant au plan du processus in(con)stituant, que des réalités in(con)stituées, ic’est-à-dire autant au plan de la lutte que d’un pouvoir révolutionnaires.

Ce sont ces dernières questions – au travers du fameux concept de fraternité-terreur en particulier – qui sont au cœur de la Critique. Mais nous ne développerons pas ce point ici, il nous faut plutôt montrer comment la Critique, en raison même de la nature de la proximité et de la fidélité à Marx que Sartre revendique, et dans le prolongement de ce dernier, aboutit à retrouver sous formes de constats de fait, ce que Hegel affirme de droit, au sujet du rapport entre société et Etat, point d’incandescence partagé de la dialectique des institutions de la liberté, autant chez Hegel, Marx, Lénine, Trotsky, que Sartre (pour ne citer qu’eux).
 
 

  1. Note finale sur la Critique de la raison dialectique

Comment opère la machinerie hégélienne ici, par-delà les références critiques convenues à « l’idéalisme » de Hegel ?
 
 
5.1 Rappel sur la critique de Hegel par le jeune Marx
 
Repartons du jeune Marx selon lequel Hegel a exprimé correctement une réalité faussée, tout en énonçant cette réalité (empirique-historique) faussée (aliénée) comme si elle était raisonnable (rationnelle)[14]. Son mérite est bien d’avoir esquissé le secret de l’Etat moderne (la société civile comme guerre de tous contre tous, l’égoïsme privé comme contenu du patriotisme citoyen[15]), d’avoir montré par le fait que dans les Stände, ces éléments médians entre Peuple et Etat , « toutes les contradictions des organisations étatiques modernes », « se rejoignent », « sont les “médiateurs” dans toutes les directions parce qu’ils sont dans toutes les directions des “mixtes d’autres choses” » (Marx 1843, 120), et surtout, « Ce qui est plus profond chez Hegel, c’est qu’il éprouve la séparation de la société civile-bourgeoise et de la société politique comme une contradiction » (Marx 1843, 129). Mais Marx explique qu’en raison du « mysticisme » Logique et de l’inversion du Sujet et du Prédicat, exprimant en cela la réalité la plus profonde du capitalisme naissant, Hegel s’envole finalement dans la fausse Aufhebung de cette contradiction qu’est l’Etat. D’où la nécessité de renverser l’inversion S-P : la démocratie comme énigme résolue de toute les constitutions, chaque constitution étant légitimation d’une figure de la séparation entre peuple et pouvoir politique.

Sartre souscrit de fait à cette critique. Mais la chose est plus subtile : pour le dire vite Marx explique que la théorie hégélienne du rapport société-Etat est faussée, mais qu’elle est faussée dans l’exacte mesure où la réalité historique de la société bourgeoise est faussée, elle est l’expression conceptuelle correcte d’une aliénation réelle, dont l’erreur profonde est qu’elle ne se sait pas telle, et prétend à une universalité et une nécessité qui font du propos hégélien, légitimation de la souveraineté impartiale d’un Etat qui, en réalité, n’est qu’un appareil de la domination de classe, une mystification. Hegel, le plus grand des penseurs bourgeois, donc. Sartre ne dit pas seulement que la société bourgeoise est faussée, et ne se contente pas de dire comment historiquement elle s’est constituée comme aliénation : il expose dans la Critique les structures même de toute socialité en tant qu’elles rendent génériquement possible cette aliénation, et les formes par lesquelles cette aliénation (de la société à elle-même dans l’Etat) s’opère. Et il se trouve que, ce faisant, dans la Critique, Sartre rend raison des facteurs qui permettent la réalisation effective de la fiction de la souveraineté, bref, des raisons structurelles qui rend possibles l’efficace réelle de la thèse hégélienne.

Dit autrement, Sartre montre que l’universalité et la souveraineté de l’Etat ne sont pas une simple mystification : l’inversion du Sujet et du Prédicat à laquelle procède Hegel, et que dénonce Marx, est bien un processus réel (ce que dit Marx, de même que le « fétichisme de la marchandise » n’est pas une pure illusion, mais un procès tout à fait réel), mais surtout, n’est pas un processus contingent, mais nécessaire dans la logique concrète de constitution historique des institutions, en vertus d’une structure dialectique dont le tome I de la Critique s’emploie à engendrer progressivement les catégories constitutives (en suivant du reste un modèle analogue au processus de la Phénoménologie de l’esprit : autant celle-ci part-elle de la certitude sensible pour aboutir à l’esprit absolu, autant la Critique part de la praxis individuelle de l’organisme mû par ses besoins, pour en arriver à l’Etat et au procès de l’Histoire). Sartre décrit le processus formel de constitution d’une souveraineté (logique de l’institution à souveraineté spécifiée) comme aliénation pratico-inerte de l’unité des praxis. Il décrit les structures logiques-génériques du processus de renversement-aliénation (où le collectif s’aliène en un Un-tiers transcendant) que Marx a mis à jour au plan historico-empirique pour l’Etat moderne-capitaliste, et qu’il affirme être la réalité théorique de l’opération hégélienne des Principes de la philosophie du droit.

Autrement dit, Sartre s’efforce d’élucider un élément médian entre les deux critiques de Marx : entre la réalité historique et l’expression conceptuelle de l’aliénation du peuple dans l’Etat, Sartre expose les structures formelles de la logique concrète, pratico-inerte, qui peut produire effectivement ce genre de renversement, et même, qui produit nécessairement ce renversement, en tant, justement, qu’il s’opère nécessairement dans un « milieu de circulation pour les significations » (Critique 853), « signification-totalité », « totalité indépassable » comme « sens profond » dont « tout petit événement » est une « actualisation particulière » (Critique 854).Et c’est ce « milieu de l’Autre » qui assure une « perméabilité de tous les produits et de toutes les manifestations à tous les individus » (Critique 855), qu’il nomme à nouveau, bien que sans « résonnances spiritualistes » et au travers d’une définition matérialiste, « Esprit objectif ».
 
 
5.2 Au-delà de l’inversion marxiste de l’inversion hégélienne
 
Pour Marx le « paralogisme » de Hegel consiste à inverser le Sujet (le peuple) et le Prédicat (l’Etat) en hypostasiant et absolutisant indument le second, et à avaliser au plan conceptuel l’avènement historique de l’Etat bourgeois moderne. Pour Sartre, le « sophisme » de Hegel consiste, on l’a vu, à se donner au départ ce qu’il y a justement à conquérir : l’unité. La Critique explique, à la fois prolongeant Marx et retrouvant Hegel, pourquoi la logique des praxis médiée par la matière sociale engendre nécessairement la fiction réelle, l’Erscheinung d’un tel Sujet, c’est-à-dire l’apparence de cette unité organique à laquelle toute communauté aspire (la Grèce archaïque et pas seulement classique le montre, Rome ou Sparte tout autant, les sociétés bourgeoises ou à direction collégiale autant que les sociétés à souveraineté incarnée, qu’elles soient monarchie ou URSS stalinienne) au point de se démettre, en la personne de chaque personne, de chaque individu, de sa liberté d’œuvrer dans le champ pratique au profit d’un tiers souverain.

Inverser l’inversion hégélienne ne saurait donc suffire, Marx le savait, mais la Critique l’administre systématiquement : l’action collective, même radicalement démocratique-révolutionnaire, ne produit jamais de Sujet collectif réel au sens d’une variante « hyperorganique » du « sujet » métaphysique ».  Pourtant elle y aspire si fort qu’elle se prend à y croire, et telle est la vérité du paralogisme hégélien : la logique de l’action semble en avoir irrémédiablement besoin, et Hegel de reconduire, là encore, le même genre d’arguments et de position que Machiavel (bien plus que Hobbes, par exemple, dont il est si loin), de même que l’Histoire semble avoir, pour les mêmes raisons, besoin du sophisme pour se donner l’unité d’un sens.

Double vérité : sophisme et paralogisme hégéliens de concert révèlent par les fantômes et les fantasmes qu’ils manifestent bien plus lucidement qu’on ne veut bien le reconnaître, autant les aspirations que les rudes chemins des institutions de la liberté que les souverainetés révolutionnaires ont eu, ont et auront encore n’en doutons point, à assumer.

 

La contradiction réelle de l’Etat, c’est que c’est un appareil de classe qui poursuit ses objectifs de classe [Marx] et qui, dans le même temps, se pose pour soi comme unité souveraine de tous, c’est-à-dire comme cet Être-Autre absolu qu’on appelle la Nation [Hegel]. (Critique 726).

Le caractère réel de cette contradiction (c’est-à-dire le sens du « à mi-chemin entre Hegel et Marx » de Sartre) porte prospectivement, en creux, toute la difficulté des institutions de la liberté qu’une souveraineté révolutionnaire a eu, a et aura n’en doutons point, à assumer.
 
 
Ouverture
 
Comme la Critique, plus généralement montre d’un même mouvement pourquoi cette logique de l’action collective à la fois ne produit jamais de réel Sujet collectif au sens métaphysique du terme, fût-il révolutionnaire – donc qu’inverser l’inversion hégélienne ne saurait suffire –, et à la fois engendre nécessairement la fiction et même l’Erscheinung d’un tel Sujet, l’enjeu du propos ne saurait échapper à quiconque souhaiterait activement participer au marxisme révolutionnaire dont le XXIe siècle a besoin : l’idée de « sujet collectif » est parfaitement viable dès lors qu’elle se base non pas sur les fictions staliniennes ou apparentées de la classe ouvrière, mais sur la compréhension que cette subjectivité collective est fondée sur la possibilité d’unifier une classe hétérogène au moyen d’une stratégie, dans des conditions matérielles et historiques données traversées d’innombrables contradictions mouvantes. Voilà pourquoi au-delà de la lettre, l’ambition hégélienne et la révolution théorique incarnée par Marx, se prolongent chez Sartre en une enquête parfaitement compatible, sur ces points, et sur la question relative des moyens et des fins, avec le legs des marxistes révolutionnaires du XXe siècle.

Il nous semble donc vital, pour conclure, de marteler en ce sens la nécessité pour tout marxisme du XXIe siècle de refaire du terrain stratégique son centre de gravité, c’est-à-dire de remettre au centre de ses préoccupations les principes fondamentaux conditionnant l’affrontement victorieux des prolétaires (en les dimensions sérielle, institutionnelle et fusionnelle de la classe ouvrière examinée par Sartre dans la Critique, croisées avec les actualisations de sa composition économico-sociologique actuelle), contre leurs exploiteurs et oppresseurs d’aujourd’hui. Ce qui exige de remettre au centre la question d’un « système combiné d’actions qui, dans leur liaison et leur succession, comme dans leur développement, doivent amener le prolétariat à la conquête du pouvoir », comme le formulait Trotsky dans L’internationale communiste après Lénine (Trotsky 1928, 171-2), et quel « programme de transition » sera adapté à ce projet. C’est seulement sur ces bases que les questions de morale révolutionnaire, comme les élaborations de Sartre des années 60 postérieures à la Critique, trouveront pleinement les conditions de leur déploiement concret, soit le passage de formules « algébriques » à leurs traductions « arithmétiques », qui sont les seules dans lesquelles la politique révolutionnaire se mène véritablement au quotidien.
 
 
Liste des abréviations
 
CM = Sartre, J.-P. (1947-1948), Cahiers pour une morale, Paris : Gallimard, 1983.
Critique = Sartre, J.-P. (1960), Critique de la raison dialectique, tome I, Paris : Gallimard, 1985.
MH = Sartre, J.-P. (2005), Morale et histoire, 1964, in « Les Temps Modernes », n°632, 633 et 634, juil.-oct. 2005.
 
 
Références
 
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Barot, E. (2011b), Sartre et le marxisme, (dir.), Paris : La Dispute.
Basso, L. (2016), Inventare il nuovo. Storia e politica in Jean-Paul Sartre, Verona : Ombre Corte, (coll. Culture, 157).
Birchall, I. (2004), Sartre et l’extrême-gauche française. Cinquante ans de relations tumultueuses, tr. fr., Paris : La Fabrique, 2011.
Birchall, I. (2011), Sartre, Trotsky et le trotskysme, in Barot, E. (2011b), Sartre et le marxisme, (dir.), Paris : La Dispute, 61-79.
Hegel, G. W. F. (1820), Principes de la philosophie du droit, tr. fr., Paris : PUF, 2003.
Hegel, G.W.F. (1822-23), La philosophie de l’histoire, (éd.) Bienenstock, M. (2009), Paris : Librairie Générale Française (Le livre de Poche).
Marcuse, H. (1948), L’existentialisme (à propos de L’être et le néant de Sartre), in Culture et société, tr. fr., Paris : Minuit, 1970.
Marx, K. (1843), Critique du droit politique hégélien, suivi de Introduction à la critique du droit politique hégélien, tr. fr., Paris : Editions Sociales, 1981.
Sartre, J.-P. (1938), La nausée, Paris : Le livre de Poche, éd. 1970.
Sartre, J.-P. (1943), L’être et le néant, Paris : Gallimard, coll. TEL, éd. 1993.
Sartre, J.-P. (1957), Questions de méthode, in Sartre, J.-P. (1960), Critique de la raison dialectique, tome I, Paris : Gallimard, 1985.
Sartre, J.-P. (2013), Qu’est-ce que la subjectivité ?, 1961, Paris : Les Prairies ordinaires, 2013.
Sartre, J.-P. (2016), Les racines de l’éthique, 1965, « Etudes sartriennes », (diffusion Vrin), n° 19, mars 2016.
Trotsky, L. (1928), L’internationalisme communiste après Lénine, tome I, Paris : Puf, 1969.
Trotsky, L. (1938), Leur morale et la nôtre, Paris : Ed. de la Passion, 2003 ; citations reprises à l’édition en ligne : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/morale/morale.htm.
 
 
Notes au texte
 
[1] Nous relions ici en les articulant et en les actualisant substantiellement deux études présentées oralement, respectivement en 2011 dans le cadre d’une journée d’études consacrées aux Principes de la philosophie du droit de Hegel (Université Jean Jaurès/ex-Mirail, Toulouse, France), et en 2012, dans le cadre du groupement de séminaires « Les armes de la critique », et du « Séminaire Sartre “combattre dans son époque” : les lecture des situations de Sartre », Paris, ENS (Ulm), dans le cadre d’une réflexion sur les ramifications éthico-politiques du concept de « situation ».
[2] Barot (2011b).
[3] Cf. Marcuse (1948).
[4] Ainsi Sartre voit-il logiquement que le travail, qui est ce autour de quoi tourne le rapport maître-esclave, est aussi ce autour de quoi s’enracine l’historicité/historicisation [historialisation], comme dialectique de l’objectivation et de l’aliénation. Voir aussi L’ontologie de Hegel et la théorie de l’historicité (1932) de Marcuse sur ce point.
[5] La formule de l’« Esprit-substance » apparaît en CM 100.
[6] Cf. Birchall (2004 ; 2011) sur lesquels je m’appuie directement. Voir en particulier l’interprétation de Les mains sales et des résonnances majeures que la figure de Trotsky y trouve.
[7] Sartre retrouve ici la dialectique propre aux « deux visages du communisme », selon que l’accent est mis sur celui-ci comme mouvement réel, ou comme fin visée, dialectique que je me suis employé à décrire dans Barot (2011a).
[8] Trotsky (1938), ch. XVI : « Interdépendance dialectique des fins et des moyens ».
[9] Sartre estime que l’exemple de la démocratie pris par Trotsky est, sur ce point, « excellent ».
[10] Cf. Sartre (2005 ; 2013 ; 2016). Voir aussi Basso (2016) sur ces questions.
[11] Cf. Birchall (2011).
[12] Il y a là naturellement un point de contact avec la relecture de Machiavel proposée par Gramsci dans les Cahiers de prison, et la question du parti communiste révolutionnaire comme « prince moderne ».
[13] Sartre (2005).
[14] Marx (1843, 113) : « Hegel n’est pas à blâmer parce qu’il décrit l’essence de l’Etat moderne comme elle est mais parce qu’il allègue ce qui est comme l’essence de l’Etat… ».
[15] Cf. Marx (1843, 85).

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